Les premiers siècles — L’ère des persécutions

Le Seigneur Jésus avait dit à l’assemblée de Smyrne : « Ne crains en aucune manière les choses que tu vas souffrir. Voici, le diable va jeter quelques-uns d’entre vous en prison, afin que vous soyez éprouvés : et vous aurez une tribulation de dix jours ». Ainsi Jésus annonçait à ses saints un temps de persécution, limité cependant. À dix reprises différentes, il serait permis à l’ennemi de déployer sa fureur contre les chrétiens, mais ce ne devait être que pour montrer la puissance du Seigneur se manifestant dans de faibles instruments. Il les soutiendrait au milieu des souffrances de toutes sortes et à travers la mort même qu’ils auraient à subir pour son nom. « Qui est celui qui est victorieux du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu », dit l’apôtre Jean (1 Jean 5:5). Ces martyrs donnaient leur vie pour l’amour de Celui qui les avait aimés. Nous désirons présenter quelques exemples de cette victoire remportée sur le monde par ceux qui croyaient en Jésus, le Fils de Dieu. Puissent ces exemples nous encourager à tenir ferme pour Christ dans un monde qui est toujours le même, bien que sa haine contre Dieu et son Fils ne se montre pas maintenant sous la même forme.

3.1 Les chrétiens sous Trajan — Lettres de Pline et de Trajan (103-107) À la fin du premier siècle et durant la première partie du second, le refus persistant des chrétiens de prendre part à aucun acte du culte, soit en l’honneur des dieux ou pour rendre hommage à l’empereur, commença à attirer sur eux l’attention du gouvernement romain. Il y avait une loi contre toutes les religions non sanctionnées par l’État, et cette loi pouvait, d’un moment à l’autre, être mise en vigueur. C’était une épée constamment suspendue sur la tête des chrétiens. Ils couraient aussi le danger d’être amenés devant les gouverneurs à cause des troubles et séditions fomentés contre eux par les prêtres des idoles, par ceux qui fabriquaient des images, et qui craignaient, comme Démétrius, que leur métier ne fût réduit à néant, et enfin par tous ceux qui vivaient des spectacles et des jeux publics, auxquels on ne voyait pas assister les disciples de Christ. Ils se souvenaient qu’ils n’étaient pas du monde, comme leur Maître n’en était pas. De plus, vers cette époque, il circulait d’étranges accusations contre ceux dont le monde ne savait guère que ce fait, qu’ils vivaient à part de lui. Par crainte de la persécution qui ne sommeillait jamais longtemps, ils étaient obligés de se réunir en secret, et il ne manquait pas de gens pour insinuer que dans ces réunions il se passait des choses qui n’auraient pas supporté la lumière. De bonne heure, sous le règne de Trajan, un édit avait été rendu, déclarant illégales toutes les corporations et associations. On voit aisément combien cette loi mettait en danger toutes les petites communautés de chrétiens, unis entre eux comme frères en Christ par le lien le plus puissant. Dieu a permis qu’un témoignage clair et non suspect nous fût conservé de ce qu’était alors la situation des chrétiens vis-à-vis de ceux qui les entouraient et du gouvernement romain. Ce sont les lettres échangées entre l’empereur Trajan et le célèbre écrivain Pline le jeune, ami de l’empereur. Elles jettent aussi du jour sur la persécution qui sévissait alors. Pline avait été envoyé comme gouverneur des provinces du Pont et de la Bithynie dans l’Asie mineure. Des personnes avaient été amenées devant lui accusées de christianisme. Le cas était nouveau pour lui, il ne savait comment agir à l’égard de ce genre de délit, et, dans sa perplexité, il demanda conseil à l’empereur, en lui exposant comment jusqu’alors il avait procédé contre les accusés. Voici quelques passages de sa lettre : « Avant de venir dans cette province », dit-il, « je n’avais jamais eu l’occasion d’assister à un interrogatoire de chrétiens. Je ne sais donc comment agir et décider, soit dans l’instruction de leur cause, soit dans le châtiment à infliger. Faut-il punir comme si être chrétien est en soi-même un crime, ou bien seulement s’il est accompagné d’autres délits ? Faut-il faire quelques différences en tenant compte de la jeunesse ou de l’âge des accusés ?… En attendant, voici comment j’ai procédé à l’égard de ceux qui étaient amenés devant moi comme chrétiens. Je leur ai demandé s’ils étaient des chrétiens. Le confessaient-ils, je réitérais ma question une seconde et une troisième fois en les menaçant de mort, s’ils persistaient. Persévéraient-ils dans leur confession, j’ordonnais qu’ils fussent emmenés, les uns pour être exécutés, les autres, comme citoyens romains, pour être envoyés à Rome, afin d’y être jugés ». Pline donne de sa sentence la raison suivante : « Je ne mettais pas en doute que, quoi qu’il en fût de leur confession, leur obstination ne dût être punie ». L’écrivain continue : « Il m’a été remis récemment une accusation anonyme qui renfermait les noms d’un certain nombre de personnes. Les ayant interrogées, quelques-unes nièrent d’être ou d’avoir été chrétiennes, invoquèrent les dieux comme je le leur prescrivis, offrirent devant tes images de l’encens et du vin, et injurièrent le nom de Christ — toutes choses, m’a-t-on dit, auxquelles on ne peut forcer un vrai chrétien. C’est là le résumé de leur erreur. Je trouvai donc bon de les relâcher. D’autres confessèrent d’abord qu’ils étaient chrétiens, mais ensuite le nièrent… Quant à leur précédente religion — qu’elle soit une erreur ou un délit, — voici ce qu’ils déclarèrent : ils ont coutume de se réunir un certain jour avant le lever du soleil et de chanter ensemble une hymne à Christ comme à un Dieu. Puis ils s’engagent par serment à s’abstenir du mal, à ne commettre ni fraude, ni vol, ni adultère, et à ne pas manquer à leur parole. Après cela, ils ont l’habitude de se séparer pour se rassembler plus tard dans la journée et de prendre part ensemble à un repas simple, paisiblement, et sans aucun scandale. Mais ils ont laissé cette dernière coutume depuis l’édit rendu par ton commandement et qui défendait tout rassemblement ». Pline était un philosophe, un homme poli et raffiné, bienveillant et généreux, et cependant il n’hésitait pas à employer le moyen le plus barbare pour découvrir toute la vérité touchant ce qu’il traitait de « superstition absurde », vérifiant ainsi la parole de l’apôtre, « sans miséricorde » quand il s’agissait des enfants de Dieu, haïs comme Jésus l’avait été, méconnus du monde comme Lui. Voici comment il continue : « Après ce rapport, il me sembla d’autant plus nécessaire d’interroger, en leur appliquant la torture, deux femmes, de celles qu’ils nomment diaconesses (*). Mais sauf une méchante et absurde superstition, je n’ai rien pu tirer d’elles… Le nombre des accusés est si grand que l’affaire mérite une sérieuse considération. Beaucoup de personnes des deux sexes, de tout âge et de toute condition, sont accusées, et un plus grand nombre encore le seront, car la contagion de cette superstition a envahi non seulement les villes, mais les plus petits endroits et les campagnes ».

(*) Nos lecteurs savent que ce mot désigne des « servantes », des personnes chargées dans l’assemblée d’un service spécial, comme Phoebé (Romains 16:1). Pline dit ensuite qu’à son arrivée, les temples étaient presque abandonnés, que les cérémonies sacrées étaient interrompues depuis longtemps, et que les victimes pour les sacrifices ne trouvaient que de rares acheteurs. Mais il laisse voir en même temps que ses efforts pour arrêter les progrès de la superstition n’ont pas été vains, et il termine en disant : « On peut penser qu’un grand nombre pourront être ramenés, si le pardon est assuré à ceux qui se repentent ». L’empereur répondit à Pline : « Tu as parfaitement agi, mon cher Pline, dans ta manière de procéder à l’égard des chrétiens amenés devant toi. Il est évident que dans des affaires de ce genre, on ne peut poser aucune règle générale. Ces gens ne doivent point être recherchés. Mais s’ils sont accusés et convaincus d’être chrétiens, ils doivent être punis de mort, avec cette restriction toutefois, que si quelqu’un renonce au christianisme et le prouve en invoquant les dieux, on le renverra absous à cause de son repentir, qu’elle qu’ait été sa conduite antérieure. En aucun cas, les dénonciations anonymes ne doivent être reçues ; elles sont un moyen dangereux et qui ne s’accorde nullement avec les principes de notre temps ». Telle fut la réponse du puissant empereur au philosophe son ami, en un temps qui se vantait de ses lumières et de son urbanité. Mais la parole de la croix a toujours été une folie pour les sages et les intelligents de ce siècle. Combien il eût été facile à ces chrétiens méprisés de sauver leur vie en jetant dans le feu quelques grains d’encens et en s’inclinant devant la statue de l’empereur ! Mais ceux qui suivaient cette « superstition » absurde et incompréhensible pour l’esprit du Romain lettré, savaient bien ce que voulait dire cette cérémonie insignifiante en apparence. Ils refusaient de racheter leur vie en étant infidèles à Christ. Ils gardaient sa parole et, comme le proconsul lui-même est forcé de l’avouer, ils ne voulaient pas renier son nom. Ah ! demandons au Seigneur cette même fidélité, pour être gardés purs des souillures du monde. Les lettres dont je viens de donner des citations, sont importantes à plus d’un égard. D’abord, bien qu’il ne s’agisse que d’une province de l’empire, nous voyons par un témoignage irrécusable que le christianisme, la foi au Christ comme Dieu, était déjà considérablement répandu, au point de faire presque disparaître le paganisme dans cette province. On comprend que Satan fît tous ses efforts pour garder ses forteresses contre la puissance de la vérité. On voit aussi quelle était cette puissance dans les cœurs et la vie de ceux qui croyaient. En effet, le seul crime dont on pouvait accuser et convaincre les chrétiens, était le refus d’adorer les images de l’empereur, d’invoquer les dieux et de maudire Christ, celui qu’ils regardaient comme leur Dieu Sauveur ; mais leur vie était sans reproche. Ce témoignage d’un païen en faveur des chrétiens de cette époque est bien puissant. Remarquons encore ce que Pline dit de leurs assemblées, d’après le rapport qui lui en est fait, et qui est confirmé sous la torture même. Ils se réunissaient pour chanter les louanges de Christ et prendre un repas en commun. Il s’agit sans doute de la Cène du Seigneur et des agapes ou repas d’amour qui l’accompagnaient souvent, comme on le voit à Corinthe (1 Corinthiens 11). À cette époque, les assemblées des chrétiens étaient caractérisées par la simplicité. Le souvenir du Seigneur dans sa mort, « annoncer » cette mort, en constituait le fond. Il serait à désirer que ce fût aussi maintenant le caractère des réunions de ceux qui croient en Jésus. Une circonstance bien intéressante et qui montre d’une manière touchante les soins de Dieu pour les siens, est le lieu où se passaient ces scènes entre le savant et riche gouverneur Pline, et les pauvres et humbles chrétiens. C’était en Bithynie et dans le Pont. Or si nous lisons le commencement de la première épître de Pierre, nous verrons qu’elle est adressée « à ceux de la dispersion, du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie ». Elle était donc envoyée aux pères des saints martyrs du temps de Trajan. Peut-être quelques-uns vivaient-ils encore, et il n’est pas invraisemblable que l’apôtre Pierre ait travaillé parmi eux. Combien les exhortations et les encouragements de cette épître étaient à propos pour ceux qui comparaissaient devant Pline dans ces temps difficiles ! Ils se souvenaient sans doute de ces paroles, bien propres à les fortifier : « Si vous souffrez pour la justice, vous êtes bienheureux ; ne craignez pas… et ne soyez pas troublés, mais sanctifiez le Seigneur le Christ dans vos cœurs ; et soyez toujours prêts à répondre, mais avec douceur et crainte, à quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous » (1 Pierre 3:14-15). Quelle consolation pour eux de se rappeler que « les yeux du Seigneur sont sur les justes et ses oreilles… tournées vers leurs supplications ». Quelle réalité dans ces autres Paroles : « Bien-aimés, ne trouvez pas étrange le feu ardent (la persécution) qui est au milieu de vous, qui est venu sur vous pour votre épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire ; mais en tant que vous avez part aux souffrances de Christ, réjouissez-vous, afin qu’aussi, à la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez avec transport » (1 Pierre 3:12 ; 4:12-13). C’était là le secret de leur force, de leur constance et de leur patience au milieu des souffrances. L’espérance de la gloire et d’un bonheur ineffable, remplissait déjà leur cœur de joie. « Vous vous réjouissez », dit encore l’apôtre, « tout en étant affligés maintenant pour un peu de temps par diverses tentations, si cela est nécessaire ». Puis, de nouveau, il tourne leurs regards vers le moment heureux où apparaîtra Jésus, « lequel », dit-il, « quoique vous ne l’ayez pas vu, vous aimez » (1 Pierre 1:6, 8). Oui, c’était l’amour pour Celui qui avait donné sa vie pour eux, qui les rendait à leur tour « fidèles jusqu’à la mort ». Que pouvaient contre de telles gens qui avaient en vue « un héritage incorruptible », qui étaient « gardés par la puissance de Dieu » pour un si heureux avenir, que pouvaient contre eux les menaces et les châtiments d’un Trajan ou d’un Pline ? Et en même temps, ils étaient soumis à l’autorité royale suivant l’exhortation de l’apôtre : « Soyez soumis à tout ordre humain pour l’amour du Seigneur, soit au roi etc ». Par leur vie, comme par leurs paroles, ils annonçaient les vertus de Celui qui les avait « appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (1 Pierre 1:2-5 ; 2:9, 13). N’admirons-nous pas le tendre soin de Dieu en donnant cette épître à ces pauvres persécutés ? Relisez-la, et vous verrez comme tout s’appliquait bien à eux. Mais elle s’adresse aussi à nous. Bien que nous ne souffrions pas comme eux, nous aussi avons à nous conduire avec crainte pendant notre séjour ici-bas, et à être saints comme Celui qui nous a appelés est saint. Nous aussi, nous sommes exhortés à marcher ici-bas comme étrangers et forains, nous abstenant des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme, car nous aussi, si nous avons cru en Jésus et si nous l’aimons, nous avons part à l’espérance vivante, et à l’héritage, et au salut réservé à ces saints martyrs. Puissent nos cœurs, comme les leurs, être attachés au Seigneur. Un mot encore. La vérité, par la bouche de ces humbles témoins, était portée devant les gouverneurs et les princes de ce monde, qui, s’ils s’y opposaient, étaient ainsi sans excuse. Et il en fut ainsi pendant tous ces temps de persécutions, selon la parole du Seigneur : « Vous serez menés même devant les gouverneurs et les rois, à cause de moi, en témoignage à eux et aux nations » (Matthieu 10:18). Nous parlerons maintenant de quelques-uns des martyrs dont les noms et les actes nous sont parvenus.

3.2 Martyre d’Ignace Aucun fait dans l’histoire de l’Église primitive n’a été conservé avec plus de soin que le martyre d’Ignace ; aucun récit de ce temps n’est plus célèbre que son voyage d’Antioche à Rome comme prisonnier dans les chaînes. Ignace était l’un des disciples immédiats de l’apôtre Jean, et évêque ou surveillant de l’assemblée d’Antioche, depuis environ l’an 70. Nous nous souvenons que c’est dans cette grande ville, la capitale de la Syrie et l’une des plus importantes cités de l’empire romain, qu’après les travaux bénis de Paul et de Barnabas, les disciples du Seigneur furent premièrement nommés chrétiens (Actes 11). Vers l’an 107, l’empereur Trajan se dirigeant vers l’Orient pour combattre les Parthes, passa par cette ville. Il est difficile d’assigner les raisons qui portèrent l’empereur à persécuter les chrétiens durant son séjour à Antioche. Était-ce qu’enflé par ses victoires, il ne pouvait supporter la pensée qu’il y eût dans ses États des gens qui refusaient d’adorer les dieux qui, selon lui, l’avaient rendu vainqueur ? Ou bien voulait-il se rendre propices ceux-ci en persécutant les chrétiens ? On ne sait, mais il menaça de punir de mort quiconque à Antioche refuserait de sacrifier aux dieux. Désireux de détourner, en l’attirant sur sa tête, l’orage qui menaçait son troupeau, Ignace demanda d’être conduit devant l’empereur pour lui exposer le vrai caractère et la position des chrétiens, et, s’il le fallait, afin de s’offrir pour eux à la mort. Ainsi Trajan fut mis face à face avec cette « absurde superstition », dont jusqu’alors il avait seulement entendu parler. Ainsi, comme au temps de Paul, témoignage fut rendu à l’Évangile devant les grands de la terre, les rendant inexcusables s’ils le rejetaient. Voici ce que des écrivains anciens rapportent de l’entrevue de l’empereur avec le vénérable évêque. Trajan s’adressant à lui, dit : « Es-tu celui qui, semblable à un démon pernicieux, persévère à contrevenir à mes ordres et entraîne les hommes dans la perdition ? » — Que personne, répond Ignace, n’appelle Théophore « Théophore » veut dire celui qu... un démon pernicieux. — Et qui est Théophore ? — Celui qui porte Christ dans son cœur. — Ne crois-tu donc pas qu’ils résident en nous, les dieux qui combattent pour nous contre nos ennemis ? — Tu te trompes, en appelant dieux les démons des nations ; car il n’y a qu’un seul Dieu qui a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui est en eux ; et un seul Jésus Christ, son Fils unique, duquel le royaume est ma portion. — Tu veux dire le royaume de Celui qui fut crucifié sous Pilate ? — Oui, de Celui qui a crucifié mon péché avec son auteur, et qui a mis le péché tout entier et la malice de Satan sous les pieds de ceux qui Le portent dans leurs cœurs. — Portes-tu en toi Celui qui a été crucifié ? — Oui, car il est écrit : J’habiterai en eux et je marcherai en eux. L’empereur coupa court à l’entretien, en rendant cette sentence : « Puisque Ignace confesse qu’il porte en lui celui qui a été crucifié, nous ordonnons qu’il soit conduit, lié par des soldats, à la grande Rome, afin d’y être déchiré par les bêtes, pour l’amusement du peuple ». Ce châtiment était réservé aux pires criminels, particulièrement à ceux qui étaient convaincus d’exercer les arts magiques, ce dont les chrétiens étaient souvent accusés. Ignace écouta avec joie cette sentence cruelle, heureux d’être jugé digne de souffrir pour le nom de Christ et comme offrande pour les saints ; se réjouissant, comme autrefois le bienheureux apôtre Paul, d’être lié et conduit à Rome. Ignace fut donc livré à dix soldats qui, sans égard pour son âge avancé, semblent l’avoir traité avec une grande dureté. Il écrivait aux chrétiens de Rome, leur envoyant sa lettre par des messagers qui suivaient une route plus courte que celle par laquelle il était conduit : « Depuis la Syrie, et jusqu’à Rome, je suis abandonné aux bêtes sauvages sur mer et sur terre ; de jour et de nuit je suis lié à dix léopards, une bande de soldats qui, même lorsque je leur fais du bien, se montrent envers moi d’autant plus cruels ». Il fut conduit par mer à Smyrne, où il lui fut permis de voir Polycarpe, évêque de cette ville qui, lui aussi, avait été disciple de l’apôtre Jean. Plusieurs autres chrétiens vinrent le saluer et lui demander sa bénédiction. Il écrivit à différentes assemblées, en particulier à celles d’Éphèse et de Rome, des lettres qui ont été conservées. Dans ces lettres d’adieu, il insiste beaucoup sur la grande vérité de l’humanité réelle de Christ. Il met en garde ceux à qui il écrivait contre la mauvaise doctrine qui se glissait parmi les chrétiens, et qui enseignait que le Seigneur n’avait pas eu un corps réel, et qu’ainsi tout ce qu’il avait fait durant sa vie ici-bas, de même que ses souffrances et sa mort, n’avait été qu’une apparence. Ignace combat aussi les docteurs judaïsants, c’est-à-dire ceux qui, déjà du temps de Paul, voulaient mêler la loi à l’Évangile (*). Il faut malheureusement ajouter qu’à ces choses excellentes, Ignace en mêle beaucoup d’autres erronées, surtout par rapport à l’autorité des évêques dans les assemblées. Ses enseignements à cet égard montrent le commencement de l’établissement du clergé remplaçant dans l’Assemblée l’action de l’Esprit Saint.

(*) L’apôtre Paul les combat, surtout dans l’épître aux Galates. Mais Ignace n’en était pas moins un bien-aimé saint de Dieu, un fidèle serviteur et témoin de Christ, pour qui il donnait sa vie. Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, il les prie de ne rien faire pour empêcher qu’il soit livré aux bêtes : « Vous ne pouvez », dit-il, « me donner rien de plus précieux que ceci : que je sois offert à Dieu en sacrifice, tandis que l’autel est prêt… Priez seulement pour que la force me soit donnée, afin que non seulement je sois appelé chrétien, mais que je sois vraiment trouvé tel ». Et il dit encore : « Laissez-moi devenir la proie des lions et des ours ; ce sera pour moi un très court passage au ciel ». Cependant les gardiens d’Ignace hâtaient leur voyage, craignant de ne pas arriver avant la fin des jeux où le martyr devait être exposé à la fureur des bêtes féroces. Aussi assistèrent-ils, sans doute, avec impatience à la scène touchante qui se passa avant qu’ils entrassent dans la cité impériale. Aux approches de Rome, ils rencontrèrent une foule de personnes qui sortaient de la ville. C’étaient des chrétiens affligés qui venaient au-devant d’Ignace. Malgré sa lettre, ils le suppliaient de leur permettre de faire leurs efforts pour le sauver ; mais il n’y consentit point. Les soldats accordèrent à Ignace quelques instants pour prier avec ses frères et leur adresser quelques paroles. Il s’agenouilla avec eux et demanda à Christ de mettre fin à la persécution, car il espérait qu’il lui serait donné de mourir pour son troupeau, et qu’ainsi les faibles brebis qu’il aimait tant, échapperaient. C’était le dernier jour des jeux, et il fut conduit immédiatement à l’amphithéâtre. On voit encore à Rome l’arc de triomphe bien conservé qui fut élevé en l’honneur de Titus, vainqueur des Juifs. Non loin se trouvent les ruines d’un vaste cirque nommé le Colisée. Près de l’endroit où se trouvaient les fameux jardins de Néron, dans un enfoncement de terrain situé entre deux des collines sur lesquelles Rome était bâtie, cet empereur avait fait un lac artificiel. Titus l’avait fait dessécher et avait commencé à faire construire sur cet emplacement un cirque immense, destiné à contenir 80000 spectateurs. C’était le Colisée. On dit que les Juifs captifs furent employés à élever ce gigantesque édifice. Ses dimensions étaient telles que l’arène centrale ayant été une fois remplie d’eau, on put y donner au peuple romain le simulacre d’un combat naval. Mais habituellement il était réservé aux combats de gladiateurs entre eux ou contre des bêtes féroces. Aux jours de fête, des scènes terribles de luttes sanglantes et de carnage avaient lieu dans cette arène. Les Romains les contemplaient et y applaudissaient du haut de leurs sièges disposés en gradins, garantis par des filets à mailles d’or suspendus à des poteaux d’ivoire, de la fureur des bêtes féroces, rendues plus terribles par la faim. C’est là que le vénérable évêque d’Antioche, épuisé par l’âge et par la fatigue de son long voyage, fut livré aux bêtes sous les yeux de milliers de spectateurs. Il fut bientôt mis en pièces et dévoré par elles. Le vieux pèlerin fatigué entra ainsi dans le repos du paradis de Dieu, auprès de Celui pour qui il avait donné joyeusement sa vie. Il pouvait dire avec Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sont pas dignes d’être comparées avec la gloire à venir qui doit nous être révélée… Qui est ce qui nous séparera de l’amour du Christ ? Tribulation, ou détresse, ou persécution, ou famine, ou nudité, ou péril, ou épée ? … Au contraire, dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Romains 8:18, 35, 37). Les amis d’Ignace ne purent recueillir de ses restes que quelques os. Il fut le premier chrétien qui souffrit cette mort cruelle dans l’amphithéâtre du Colisée. Mais après lui bien d’autres subirent le même sort sous le règne de Trajan. « Ils n’ont pas aimé leur vie, même jusqu’à la mort », mais « ils ont vaincu à cause du sang de l’Agneau et à cause de la parole de leur témoignage » (Apocalypse 12:11). Quelle gloire les attend dans la première résurrection ! Ils régneront avec Christ. Puissions-nous, dans ces temps moins difficiles, être cependant trouvés aussi fidèles, aussi dévoués au Seigneur !

3.3 Justin martyr La persécution contre les chrétiens qui avait sévi sous le règne de l’empereur Trajan, se ralentit sous celui de ses deux successeurs Adrien et Antonin le pieux, sans cependant cesser entièrement. Mais elle reprit avec plus de force sous Marc-Aurèle qui succéda à Antonin. Est-ce donc que cet empereur était un homme méchant et cruel ? Non. Il était, au contraire, un de ceux que l’on nomme philosophes — amis de la sagesse. Marc-Aurèle était d’un naturel humain, bienveillant, noble et pieux, et grâce à l’influence de l’éducation qu’il avait reçue de sa mère, ses mœurs étaient pures. Ses écrits renferment des préceptes d’une morale excellente. Et malgré cela, il se montra l’ennemi des chrétiens. Nous ne devons pas nous en étonner. La sagesse du monde, celle que les hommes puisent dans leur intelligence, dans leurs sentiments et leurs raisonnements, est tout l’opposé de la sagesse de Dieu. C’est Christ qui est « la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu », et c’est en Christ crucifié que se montrent cette puissance et cette sagesse pour sauver ceux qui croient. Mais le monde avec sa sagesse n’a pas connu Dieu qui, dans son amour, a donné son Fils. La croix est une folie pour les sages de ce monde qui estiment pouvoir plaire à Dieu et se sauver sans elle. Aussi l’apôtre Paul dit-il que les chefs de ce monde n’ont pas connu la sagesse de Dieu, « car s’ils l’eussent connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire » (lire 1 Corinthiens 1:20-24 ; 2:7-8). Ainsi, si les chefs de ce monde ont rejeté le Seigneur, il ne faut pas être surpris qu’ils persécutassent les disciples de Jésus. Il faut aussi ajouter que tout en reconnaissant la vanité des idoles, les philosophes en toléraient le culte et s’y associaient comme étant une chose bonne pour le peuple, tandis que les chrétiens s’en séparaient complètement. L’empereur, il est vrai, n’intervenait pas directement dans les persécutions. Mais il en avait connaissance et aurait pu les arrêter. Des apologies ou défenses du christianisme avaient été présentées aux empereurs qui l’avaient précédé et à lui-même, et la justice aurait demandé qu’il examinât ce qui lui était dit en faveur des chrétiens. Mais au fond de toutes les persécutions et de l’opposition faite aux disciples de Christ se trouve l’inimitié du cœur naturel contre Dieu. Jésus avait dit. « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous… Ils ont, et vu, et haï et moi et mon Père… S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jean 15:18, 24, 20). Et, en effet, le monde les haïssait. On en était venu à considérer les chrétiens comme des ennemis publics. Non seulement on les accusait de crimes abominables commis en secret dans leurs réunions privées, mais on leur attribuait toutes les calamités qui, à cette époque en particulier, vinrent frapper Rome et l’empire romain. Les dieux irrités par la présence de ces impies, de ces athées qui méprisaient leur culte, manifestaient leur courroux par ces fléaux, disait-on. La haine du peuple envers eux allait donc en croissant. Il se soulevait contre eux et obligeait les gouverneurs des provinces à sévir et à exécuter les édits de persécution à l’égard de ceux qui étaient dénoncés comme chrétiens et amenés à leur tribunal. Le Seigneur l’avait annoncé : « Ils vous livreront pour être affligés, et ils vous feront mourir ; et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom » (Matthieu 24:9). Mais il avait dit aussi pour l’encouragement de ceux qui souffraient pour son nom : « Vous avez de la tribulation dans le monde ; mais ayez bon courage, moi j’ai vaincu le monde » (Jean 16:33). Et encore : « Celui qui hait sa vie dans ce monde-ci, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et où je suis, moi, là aussi sera mon serviteur : Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera » (Jean 12:25-26). « Si nous souffrons avec lui », nous serons « aussi glorifiés avec lui » (Romains 8:17). Voilà ce qui soutenait les chrétiens et les fortifiait dans les souffrances qu’ils avaient à endurer. Ils n’avaient peut-être pas autant de lumières que nous pouvons en avoir, mais Christ était pour eux une Personne vivante qui avait donné sa vie pour eux, et ils donnaient leur vie pour Lui. Puissions-nous marcher dans le même chemin de foi, de renoncement et d’amour. Parmi ceux qui souffrirent le martyre à Rome sous Marc-Aurèle, se trouve Justin surnommé Martyr. Beau titre, n’est-ce pas, que celui de martyr ou témoin pour Jésus Christ ? L’histoire de Justin est d’autant plus intéressante qu’il avait été un de ces philosophes si opposés à l’Évangile. Mais la grâce de Dieu est souveraine. Elle a amené à Christ le pharisien Saul de Tarse, et elle a converti le philosophe Justin. Elle l’a fait en dépouillant l’un de sa propre justice, et en montrant à l’autre l’impuissance de la sagesse humaine. Il faut que tous, sages ou ignorants, grands ou petits, nous reconnaissions notre état de péché et de ruine, afin de saisir le salut, la paix et la vie en Christ. Celui qui a sauvé Pierre et Jean, Nicodème et Paul, Justin le philosophe et tant d’autres, est aussi Celui qui nous sauve. Justin était né de parents païens à Néapolis, ville de la Samarie, bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Sichem. Il raconte lui-même comment, dans sa jeunesse, désirant ardemment connaître la vérité, il avait parcouru toutes les écoles de philosophie, étudiant avec soin les systèmes des sages de ce monde, sans rien trouver qui satisfît son âme et répondit à ses besoins. Mais Dieu, qu’il ne connaissait pas encore, le suivait comme le berger qui cherche sa brebis errante, et vint lui révéler la vérité qu’il avait en vain demandée aux hommes. Un seul est « la vérité », comme il est « la vie » et « le chemin », pour arriver à Dieu, et c’est Jésus. Justin allait le trouver. Un jour que, fatigué de l’inutilité de ses recherches, il se promenait au bord de la mer, il rencontra un vieillard d’aspect vénérable qui entra en conversation avec lui. Justin s’ouvrit à cet inconnu, qui avait gagné sa confiance. Il lui dit son ardent désir de trouver Dieu, et tout ce qu’il avait fait, mais en vain, pour y arriver. Le vieillard lui répondit qu’en effet tous les enseignements des philosophes ne pouvaient l’amener à la connaissance de Dieu et à la possession de la paix après laquelle il soupirait, car, dit l’apôtre Paul, « le monde, par la sagesse, n’a pas connu Dieu ». Puis le vieillard parla à Justin de la révélation que Dieu avait donnée aux hommes dans les écrits des prophètes et dans les évangiles, et le pressa de les lire et de les étudier, et de s’enquérir des doctrines du christianisme. « Priez », ajouta le vieillard, « pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes, parce que les Écritures ne peuvent être comprises que par l’aide de Dieu et de son Fils Jésus Christ ». Le vieillard s’éloigna, et Justin ne le revit plus. Mais il suivit ses conseils. Il lut et médita les Écritures ; il pria, et Dieu répondit à ses requêtes. Il trouva la lumière et la paix auprès de Jésus Christ, et, une fois converti, il devint un ardent défenseur du christianisme. Plein de zèle pour la vérité qu’il avait saisie, et qui remplissait et réjouissait son cœur, il se mit à voyager, toujours vêtu de sa robe de philosophe, en Égypte et en Asie, annonçant à tous ceux qui voulaient l’entendre, l’Évangile qui lui était si précieux. De l’abondance de son cœur, sa bouche parlait. Comme il est beau de voir Dieu tirant une âme des ténèbres, l’amenant dans sa merveilleuse lumière, et faisant d’elle un flambeau pour éclairer d’autres âmes ! On n’a pas besoin pour jouir de ce privilège d’être un savant et un philosophe comme Justin ; chacun de nous, dans notre sphère, si humble soit-elle, dès que nous avons goûté que le Seigneur est bon, nous pouvons le faire connaître à d’autres (Actes 26:18 ; 1 Pierre 2:9). Justin se fixa enfin à Rome et continua d’y enseigner. Il cherchait à se mettre en rapport avec les philosophes, dans le désir de leur faire connaître la vérité. Mais l’un d’eux, nommé Crescent, irrité de ce que Justin l’avait réduit au silence en discutant avec lui, le dénonça comme chrétien. Justin, avec six autres, parmi lesquels se trouvait une femme, comparut devant le préfet de Rome, Rusticus. Celui-ci voyant Justin revêtu de sa robe de philosophe, lui demanda quelle doctrine il professait. — J’ai cherché à acquérir toutes sortes de connaissances, répondit Justin ; j’ai étudié dans toutes les écoles des philosophes, et je me suis enfin arrêté à la seule vraie doctrine, celle des chrétiens, de ces hommes méprisés par tous ceux qui sont dans l’aveuglement et l’erreur. — Comment, misérable ! Tu suis cette doctrine ? s’écria le préfet. — Oui, et c’est avec joie ; car je sais qu’elle est vraie. Interrogé ensuite sur les lieux où les chrétiens s’assemblaient, il répondit qu’ils se réunissaient où ils le pouvaient, non pas tous en un même lieu, « car le Dieu des chrétiens », disait Justin, « le Dieu invisible, n’est pas circonscrit par l’espace. Il remplit les cieux et la terre, et est adoré et glorifié partout par les fidèles ». Le préfet l’ayant menacé de la mort s’il persistait dans sa superstition, le témoin de Christ répondit : « Tu peux me faire souffrir tous les tourments, je n’en resterai pas moins en possession de la grâce qui assure le salut, et qui est le partage de tous ceux qui sont en Christ ». — Tu crois donc aller au ciel ? — Non seulement je le crois, mais je le sais et j’en ai l’entière certitude. Telle fut la réponse pleine d’assurance du philosophe qui, après avoir été si longtemps ballotté par tout vent de doctrine humaine, avait enfin trouvé pour son âme une ancre sûre et ferme, et une espérance qui ne confond point (Éphésiens 4:14 ; Hébreux 6:19). Le préfet s’efforça alors de persuader à Justin et ses compagnons de sacrifier aux idoles. — Aucun homme dont l’esprit est sain, répondit Justin, n’abandonnera une vraie religion pour l’erreur et l’impiété. — Sacrifiez, dit le préfet, ou vous serez tourmentés sans miséricorde. — Je ne désire rien d’autre que de souffrir pour le nom de Jésus, mon Sauveur. Je paraîtrai ainsi avec confiance devant son tribunal, où le monde entier doit comparaître un jour. Telle fut la réponse courageuse du martyr. Ses six compagnons confirmèrent ses paroles en disant : — Faites ce que vous voudrez ; nous sommes chrétiens, et nous ne pouvons sacrifier aux idoles. Le préfet les voyant inébranlables devant ses menaces prononça la sentence : « Ceux qui refusent de sacrifier aux dieux et d’obéir aux édits de l’empereur, seront d’abord battus de verges, puis décapités ». Les martyrs se réjouirent et bénirent Dieu d’avoir été trouvés dignes de souffrir et de mourir pour le nom de Jésus (Actes 5:41 ; Philippiens 1:29). Ils furent ramenés dans leur cachot, et là, après avoir été fouettés, ils eurent la tête tranchée. Le Seigneur Jésus a dit : « Vous êtes bienheureux quand on vous injuriera, et qu’on vous persécutera… à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les cieux ». Et l’apôtre Paul dit, en écrivant à Timothée : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui » (Matthieu 5:11-12 ; 2 Timothée 2:12). Justin et ses compagnons avec bien d’autres mis à mort « pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils ont rendu », attendent maintenant auprès du Seigneur la « récompense » : « la couronne de justice » et de gloire qui leur est réservée et qui leur sera donnée à son avènement (2 Timothée 4:8).

3.4 La persécution en Asie mineure et le martyre de Polycarpe « À l’ange de l’assemblée qui est à Smyrne, écris :… Ne crains en aucune manière les choses que tu vas souffrir… Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie ». C’est ainsi que le Seigneur Jésus, Lui, le fidèle témoin ou martyr, qui avait donné sa vie, encourageait d’avance ceux qui seraient appelés à donner leur vie pour Lui. Ce fut en Asie mineure que la persécution, sous Marc-Aurèle, sévit avec le plus de violence. Une lettre adressée par « l’Église de Dieu à Smyrne à celle de Philomélie et à toutes les parties de la sainte Église universelle », donne un récit détaillé des souffrances qu’eurent à endurer les fidèles confesseurs de Jésus Christ. Parmi ceux que cette lettre mentionne comme ayant été mis à mort, se trouve le vieil évêque de Smyrne, Polycarpe. Polycarpe, de même qu’Ignace, avait été disciple de l’apôtre Jean. On dit que ce fut Jean qui l’établit évêque de Smyrne. Il est possible, en effet, qu’il l’eût mis à part comme « ancien » dans cette assemblée, car nous savons que les apôtres avaient l’autorité d’établir des anciens dans les églises (Actes 14:23 ; Tite 1:5). Irénée, un des disciples de ce saint évêque, et qui fut l’évêque de Lyon au commencement du troisième siècle, parle ainsi de Polycarpe : « Je pourrais encore montrer la place où le bienheureux Polycarpe avait coutume de s’asseoir et de discourir ; je pourrais dire sa démarche, son apparence, sa manière de vivre, ses conversations. J’ai encore présentes à l’esprit la gravité de sa conduite, la majesté de son visage, la pureté de sa vie, et les saintes exhortations qu’il adressait à son troupeau. Il me semble encore l’entendre raconter comment il avait conversé avec Jean et plusieurs autres qui avaient vu Jésus Christ, et répéter les paroles qu’il avait entendues de leur bouche, les récits qu’ils faisaient des miracles du Sauveur, de sa doctrine selon les Écritures, comme il les avait reçus de ceux qui avaient été des témoins oculaires. Son zèle pour la pureté de la foi était tel que, si quelque erreur était avancée et soutenue en sa présence, il avait coutume de se boucher les oreilles, et de se retirer en s’écriant : « Dieu miséricordieux, pour quels temps m’as-tu réservé ! » Tel était Polycarpe. À l’époque de la persécution, c’est-à-dire vers l’an 167, il était âgé d’environ quatre-vingt-quinze ans. Le peuple, irrité de voir la constance et la fermeté des témoins du Seigneur exposés dans l’arène à la fureur des bêtes féroces, demandait à grands cris que l’on saisît et qu’on livrât aux lions le fidèle pasteur du petit troupeau des chrétiens. « Polycarpe ! Amenez Polycarpe ! » criait la multitude. Polycarpe, ayant entendu les clameurs de la foule, voulait d’abord rester tranquillement dans la ville, et y attendre ce que Dieu ordonnerait de lui. Mais sur les instances des frères, il se retira dans un village voisin. Il y resta quelque temps avec un petit nombre d’amis, priant nuit et jour pour toutes les assemblées. Un de ses esclaves, mis à la torture, fit connaître le lieu de sa retraite, et on envoya des soldats pour se saisir de lui. L’ayant appris, le vieillard refusa de pourvoir autrement à sa sûreté ; il attendit avec calme leur venue, disant simplement : « Que la volonté du Seigneur soit faite ». Les soldats étant arrivés, il commanda qu’on leur donnât à boire et à manger, et demanda qu’on lui laissât une heure de recueillement pour prier. Sa requête lui ayant été accordée, il se retira dans une chambre haute où il pria, dit la lettre citée, « pour tous ceux qu’il avait connus, petits et grands, dignes et indignes, et pour toute l’Église dans le monde entier ». Son cœur était si rempli, que deux heures se passèrent avant qu’il eût achevé ses ferventes supplications. Ceux qui devaient le conduire à la ville, lui firent dire de venir. Son dévouement, sa douceur, son grand âge et son aspect vénérable firent une profonde impression sur ses gardes. Ayant égard à sa vieillesse, ils le firent monter sur un âne et entrèrent dans la ville remplie d’une foule considérable. Comme ils traversaient les rues, ils rencontrèrent Hérode, le premier magistrat de la ville, qui était sur son char avec son père. Tous deux, avec un semblant de respect, invitèrent l’évêque prisonnier à monter à côté d’eux, et essayèrent par de belles paroles et des promesses à ébranler sa constance. « Quel mal y a-t-il », lui disaient-ils, « à dire : Seigneur César ! ou à sacrifier ? » Mais voyant leurs efforts inutiles, ils changèrent leurs paroles douces en injures, et irrités, ils précipitèrent le vieillard hors du chariot. Polycarpe, bien que meurtri par sa chute, poursuivit son chemin, conduit par les gardes, et fut amené devant le proconsul. Celui-ci, ayant compassion de son grand âge et de sa faiblesse, essaya de lui persuader de ne pas répondre à l’appel de son nom, mais Polycarpe refusa de se servir d’un subterfuge pour échapper au supplice. — Eh bien, lui dit le proconsul, jure par le génie de César, et dis : Loin de nous les athées. Le vieillard promena lentement ses regards sur la foule furieuse qui remplissait l’amphithéâtre, puis agitant sa main et regardant vers le ciel, il cria « Loin de nous les athées ! » (*)

(*) Les chrétiens étaient accusés d’athéisme, parce qu’ils n’adoraient pas les faux dieux. — Jure, dit le proconsul, pensant qu’il fléchissait ; maudis Christ, et je te relâcherai. — Voici quatre-vingt-six ans que je le sers, répliqua le courageux évêque, tandis qu’un sourire illuminait ses traits, et il ne m’a jamais fait de mal ; comment le blasphémerais-je, Lui, mon Roi et mon Sauveur ? La menace de le livrer aux bêtes féroces ou de le faire périr sur un bûcher, l’ayant trouvé inébranlable, le proconsul ordonna à un héraut de proclamer trois fois au milieu du cirque : « Polycarpe a confessé qu’il était chrétien ». Aussitôt la multitude de s’écrier : « C’est le docteur de l’Asie, le père des chrétiens, l’ennemi de nos dieux ; c’est lui qui a persuadé à un si grand nombre de ne plus sacrifier. Qu’il soit livré aux lions ». Mais le président des jeux refusa, en alléguant que les jeux étaient terminés. Alors la foule tumultueuse s’écria : « Qu’il soit brûlé ! » Le proconsul accéda à leur demande, et aussitôt tous à l’envi, Juifs et païens se mirent à apporter du bois pour le bûcher. Le vieillard considérait avec calme les préparatifs de son supplice, mais quand on l’eût entraîné sur le bûcher et qu’on voulut le fixer au poteau avec des cordes : « Laissez-moi ainsi », dit-il. « Celui qui me donne la force d’endurer les flammes, me rendra capable de ne faire aucun mouvement sur le bûcher ». Avant que le feu fût allumé, le martyr pria en disant : « Seigneur, Dieu Tout-puissant, Père de ton bien-aimé Fils Jésus Christ, par lequel nous avons reçu la connaissance de Toi-même, Dieu des anges et de la création entière, de la race humaine et des justes qui vivent en ta présence, je te loue de ce que tu m’as jugé digne de ce jour et de cette heure pour avoir part avec tous tes témoins à la coupe des souffrances de Christ ». Dès qu’il eut achevé de prier, on mit le feu au bûcher. Mais, chose étrange à dire, attestée cependant par la lettre de ceux qui en furent les témoins oculaires, les flammes, au lieu de l’atteindre, semblèrent vouloir l’épargner, formant autour de lui comme une grande voile enflée par le vent. Son corps brillait comme de l’or et de l’argent, et un parfum exquis se répandit dans l’air. À cette vue, les païens superstitieux, craignant que le feu n’eût aucun pouvoir sur lui, ordonnèrent qu’il fût percé d’un glaive. Le sang éteignit d’abord le bûcher, mais les païens demandèrent que le corps fût consumé, et il n’en resta que quelques ossements. Comme les disciples de Polycarpe désiraient recueillir ces faibles restes de celui qu’ils avaient tant aimé, les Juifs persuadèrent au proconsul de ne pas leur accorder leur requête, « de peur », disaient-ils, « qu’ils n’abandonnent le crucifié pour adorer cet homme ». « Ils ne comprenaient guère », dit la lettre, « qu’il n’est pas possible d’abandonner Christ qui a souffert pour le salut du monde, et que l’on puisse adorer quelqu’un d’autre. Car c’est Lui qu’en vérité nous adorons ; mais nous aimons les martyrs, comme étant ses disciples ». La mort édifiante de Polycarpe fut une bénédiction pour l’Église. La fureur de la populace s’apaisa, et le proconsul lui-même, fatigué de ces scènes sanglantes, défendit que l’on amenât encore des chrétiens devant son tribunal. Ainsi, le Seigneur mit fin à la tribulation à Smyrne. Polycarpe écrivit à l’assemblée de Philippes une lettre qui nous a été conservée. Elle est surtout intéressante, parce qu’il leur rappelle l’apôtre Paul, « qui », dit-il, « quand il était au milieu de vous, vous a fidèlement et constamment enseigné la vérité, et qui, absent, vous a écrit une lettre, laquelle, si vous l’étudiez diligemment, sera le moyen de vous établir dans la foi, l’espérance et l’amour ». Ainsi les mêmes Saintes Écritures que Dieu nous a données pour nous instruire à salut et nous guider, étaient aussi la consolation de ces saints d’autrefois qui souffraient et mouraient pour le Seigneur.

3.5 Les martyrs de Lyon et de Vienne vers l’an 177 Ce fut encore sous le règne de Marc-Aurèle, l’empereur philosophe, qu’eut lieu une nouvelle persécution contre les chrétiens. Elle sévit surtout dans les villes de Lyon et de Vienne en Gaule. Là, s’étaient établies des colonies venues de l’Asie mineure, et c’est aussi d’Asie que l’Évangile y avait été apporté. Ainsi, en quelque lieu que ce fût où la parole du salut était portée, l’ennemi du Seigneur, celui qui est appelé « le grand dragon, le serpent ancien, le diable et Satan », ne se lassait pas de poursuivre et de tourmenter les saints de Dieu. Il se servait pour cela de la formidable puissance romaine, représentée dans l’Écriture sous la figure d’une « bête effrayante et terrible, et extraordinairement puissante », avec de grandes dents de fer, qui dévorait et écrasait, et faisait la guerre aux saints (Daniel 7:7, 21). Des détails concernant la persécution des chrétiens des Gaules, nous ont été conservés dans une lettre qu’ils adressèrent à leurs frères d’Asie. L’écrivain dit comment les frères, qui jusqu’alors avaient vécu paisiblement, furent tout à coup assaillis par les païens. On commença par les exclure des bains et des marchés publics, puis on les dépouilla de leurs biens et on alla jusqu’à piller leurs maisons. Ensuite ils furent poursuivis à coups de pierres et traînés en prison, « accusés », dit la lettre, « de crimes si odieux qu’il ne nous est pas permis de les mentionner, ni même d’y penser ». C’est en l’absence du préfet que se déchaîna la fureur de la populace, et ce furent les employés subalternes qui, intimidés par la violence de la foule, firent jeter en prison un grand nombre de chrétiens. Quelques-uns de ceux-ci, au moment de l’épreuve, faiblirent ; plusieurs périrent dans les cachots humides et malsains où ils avaient été enfermés. L’arrivée du préfet n’allégea point les souffrances des prisonniers. Il commença à chercher, par les tortures, à pousser les chrétiens à renier Christ, ou à leur faire avouer les crimes abominables dont on les accusait, comme de manger de la chair humaine dans leurs assemblées secrètes et de se livrer à toutes sortes de désordres. Contrairement à la loi, le magistrat fit mettre à la torture des esclaves des maîtres chrétiens. Quelques-uns, vaincus par les tourments, affirmèrent que leurs maîtres pratiquaient, en effet, les crimes dont ils étaient accusés. Dès lors, le magistrat et le peuple se crurent en droit de punir les chrétiens des plus cruels supplices. Ni le rang, ni l’âge, ni le sexe, ne furent épargnés. Voici quelques exemples pris parmi ceux qui souffrirent pour le Seigneur. Un jeune homme chrétien de haute naissance et de grands talents, nommé Vettius Apagatus, qui n’avait point été mis en prison, fut indigné d’entendre les fausses accusations portées contre ses frères. Plein d’amour pour eux, il se sentit pressé de prendre leur défense et de rendre témoignage à la pureté de leur vie. Mais le juge, au lieu de l’écouter, lui demanda s’il était chrétien, lui qui se faisait leur avocat. Sur la réponse affirmative de Vettius, le magistrat ordonna qu’il fût conduit en prison. Il n’en sortit que pour souffrir le martyre. Le vieil évêque de Lyon, Pothin, âgé de quatre-vingt-dix ans, qui probablement était venu d’Asie et avait porté l’Évangile dans cette ville, fut amené, infirme et asthmatique comme il l’était, devant le tribunal. « Quel est le Dieu des chrétiens ? » lui demanda le juge. « Tu le connaîtras, si tu t’en montres digne », répondit tranquillement le vieillard. À ces mots, ceux qui entouraient le tribunal l’accablèrent d’injures et de coups. Le divin Maître de Pothin avait eu aussi à souffrir les injures et les coups devant un tribunal humain (Matthieu 26:67-68). Ramené en prison, le vieillard eut encore à endurer la brutalité de la populace, et mourut deux jours après par suite des mauvais traitements qu’il avait subis. Mais parmi tous ceux qui souffrirent, il n’y en eut point qui brillèrent plus par leur foi, leur constance et leur fermeté que Blandine. Elle était une pauvre jeune esclave, au corps faible et chétif. Sa maîtresse, chrétienne aussi, et qui mourut martyre, tremblait pour elle, craignant que sa foi ne succombât sous les tourments. Mais le Seigneur se tint près de sa jeune servante, et manifesta en elle sa force. Les bourreaux épuisèrent sur elle tous les genres de supplices : les fouets, le chevalet sur lequel on étendait les membres jusqu’à les disloquer, la chaise de fer rougie au feu sur laquelle on faisait asseoir les martyrs, Blandine supporta tout sans fléchir, répétant seulement : « Je suis chrétienne ; nous ne commettons aucun mal ». Attachée à un poteau dans l’amphithéâtre, elle fut livrée aux bêtes féroces, mais celles-ci, moins cruelles que les hommes, ne la touchèrent pas. On pensait qu’étant une faible femme et une esclave, on pourrait, en multipliant les tortures, l’amener à renier Christ. Mais Celui qui était en elle était plus fort que celui qui est dans le monde. Elle possédait la foi qui rend victorieux du monde, la foi au Fils de Dieu (1 Jean 4:4 ; 5:4-5). « Blandine », dit la lettre déjà citée, « fut revêtue d’une telle force que ceux qui se relayaient pour la torturer du matin jusqu’au soir, avouèrent, lassés qu’ils étaient, qu’elle les avait vaincus. Ils étaient étonnés, après avoir épuisé sur elle toutes les tortures, qu’elle pût encore vivre, ayant le corps déchiré et ouvert de toutes parts ». Le Seigneur rendait ainsi témoignage à la vérité du christianisme, et à la puissance de la foi en Lui. On pouvait dire de ces martyrs comme de ceux d’un autre âge : Ils furent torturés, éprouvés par des moqueries et par des coups, par des liens et par la prison ; ils furent lapidés, sciés, tentés, eux desquels le monde n’était pas digne… Ils ont reçu témoignage par la foi, en attendant la céleste récompense (Hébreux 11:36-39). Comme l’on ramenait en prison Blandine et ses compagnons de souffrances, beaucoup d’amis affligés vinrent à leur rencontre pour les consoler, les encourager et leur témoigner leur amour, les saluant en même temps du nom de martyrs. « Nous ne sommes pas dignes d’un tel honneur », répondirent-ils ; « le combat n’est pas terminé. D’ailleurs ce nom glorieux de martyr qui veut dire « témoin » appartient essentiellement à Celui qui est le Témoin fidèle et véritable, le premier-né des morts et le Prince de la vie, et ensuite à ceux qui ont scellé le témoignage de Christ par leur persévérance jusqu’à la fin. Nous ne sommes que de pauvres faibles confesseurs ». Puis ils demandèrent avec larmes à leurs frères de prier pour eux, afin qu’il leur fût donné de rester fidèles et fermes jusqu’à la fin. Ainsi ils montraient qu’ils sentaient leur faiblesse et n’attendaient de force que de Celui en qui seul elle réside. Une nouvelle douleur les attendait à leur retour dans la prison. Quelques-uns des leurs, saisis de crainte à la pensée des tourments, avaient renié le christianisme. Ils n’y avaient d’ailleurs rien gagné ; on les retenait en prison comme accusés d’autres crimes. Blandine et ses compagnons prièrent avec beaucoup de larmes le Seigneur, afin que ceux qui avaient faibli devant l’ennemi fussent restaurés et fortifiés. Le Seigneur exauça leurs prières. Ayant comparu de nouveau devant le magistrat, ceux qui étaient tombés confessèrent courageusement leur foi en Christ, et condamnés à mourir, ils obtinrent aussi la couronne des vainqueurs. La fin de Blandine approchait. Elle allait échanger les douleurs passagères de cette vie, pour la gloire éternelle (2 Corinthiens 4:17-18). Elle fut amenée pour la dernière fois devant le juge avec un jeune homme de 15 ans, nommé Ponticus. On leur ordonna de jurer par les dieux, mais ils refusèrent avec fermeté. On leur fit encore subir les tortures les plus cruelles que la barbarie des hommes puisse imaginer. Ils les supportèrent avec une patience qui ne fit qu’exaspérer au plus haut point la multitude. Le jeune Ponticus, encouragé et soutenu par les prières et les exhortations de sa sœur en Christ, succomba bientôt et s’endormit en Jésus. Blandine, restée seule, fut gardée pour le dernier jour des jeux. On pouvait bien dire d’elle, comme Paul le disait de lui-même et des apôtres : « Dieu nous a produits les derniers sur la scène… comme des gens voués à la mort… un spectacle pour le monde, et pour les anges et pour les hommes » (1 Corinthiens 4:9). Blandine fut d’abord fouettée jusqu’au sang, puis subit de nouveau l’affreux supplice de la chaise ardente, ensuite placée dans un filet, elle fut livrée à un taureau sauvage qui la secoua longtemps avec ses cornes et la fit souffrir cruellement. Enfin un soldat mit fin à ses souffrances, en la perçant d’une lance. Tels étaient les tourments que ces fidèles confesseurs endurèrent pour l’amour de Jésus. Leur récompense sera grande dans le royaume des cieux (Matthieu 5:12). Nous qui vivons dans un temps paisible, n’en serons-nous pas reconnaissants envers Dieu ? N’en profiterons-nous pas pour croître dans la connaissance et la grâce du Seigneur Jésus, afin d’être aussi ses témoins dans ce monde, non par des souffrances semblables à celles des martyrs, mais par notre séparation du monde et la pureté de notre vie ? D’autres que ceux que nous avons nommés souffrirent de même. À propos d’un nommé Sanctus qui endura aussi de cruels tourments, notre lettre dit qu’il les supporta de manière à montrer « qu’il n’y a rien de terrible là où se trouve l’amour du Père, ni rien de pénible là où est la gloire de Christ ». La rage des persécuteurs ne fut pas assouvie par la mort des martyrs. Leurs corps furent brûlés et les cendres jetées dans le Rhône, afin de les priver ainsi, pensaient leurs ennemis dans leur folie, de ce qui leur était le plus précieux, — la sûre et certaine espérance de la résurrection bienheureuse. Insensés, ils ignoraient la puissance de Dieu. La mort est vaincue pour les chrétiens, sous quelque forme qu’elle se présente. Ils avaient pour eux, ces fidèles témoins, la parole de Christ : « Celui qui vaincra n’aura point à souffrir de la seconde mort ». Ils auront part à la première résurrection, et vivront et régneront avec le Christ. Puisse ce bonheur être aussi le nôtre !

3.6 Les martyrs de Carthage vers l’an 202 Le cruel gouverneur de Lyon dont nous avons parlé était devenu empereur sous le nom de Septime Sévère. Dans les premières années de son règne, les chrétiens avaient joui d’une tranquillité relative ; mais à son retour d’Orient où il avait fait une guerre victorieuse, il rendit un édit défendant à aucun de ses sujets d’embrasser le judaïsme ou le christianisme. L’occasion de cette nouvelle persécution fut, sans doute, le refus des chrétiens de prendre part aux réjouissances publiques qui accueillaient l’empereur victorieux, réjouissances toujours accompagnées de cérémonies païennes. Les chrétiens mettaient en pratique la parole de l’apôtre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes 5:29). La persécution sévit surtout en Égypte et dans la province d’Afrique où le christianisme avait jeté de profondes racines. La grâce de Dieu s’y montra d’une manière merveilleuse dans la patience et le courage qu’elle donna aux saints martyrs dans leurs souffrances. Parmi eux se trouvaient, à Carthage, deux femmes, Vivia Perpétua et Félicité, et trois jeunes hommes. Ils étaient encore des catéchumènes, c’est-à-dire que, bien que s’étant joints aux chrétiens, ils n’avaient pas encore reçu le baptême, ni pris part à la cène. Félicité était une pauvre esclave qui, dans la prison même, devint mère d’un petit enfant. Perpétua était une jeune dame distinguée par sa naissance, son éducation et sa fortune. Elle n’avait que vingt-deux ans, avait récemment perdu son mari, et était mère d’un jeune enfant qu’elle nourrissait. Sa mère et ses deux frères étaient chrétiens ; son père, seul de la famille, était resté attaché au paganisme. Il aimait passionnément sa fille, et c’était pour lui une immense douleur de la voir attachée à cette religion méprisée, et être un sujet de honte pour lui et le nom illustre qu’il portait. D’un cœur tendre et aimant, la plus grande épreuve pour Perpétua venait de son affection pour son père et pour son enfant. Ce n’était pas seulement la mort sous sa forme la plus terrible qu’elle avait à affronter, mais il lui fallait vaincre aussi les liens naturels les plus puissants. Elle avait compris cette parole : « Celui qui aime père et mère plus que moi, n’est pas digne de moi ; et celui qui aime fils ou fille plus que moi, n’est pas digne de moi » (Matthieu 10:37), et elle aimait Jésus plus que tout : pour l’amour de Lui, elle fut rendue capable de renoncer à tout. Perpétua a laissé, écrit par elle-même, un récit simple et touchant de son emprisonnement et de son jugement. Nous en citerons quelques parties. « Lorsque nous fûmes entre les mains de nos persécuteurs », dit-elle, « mon père, dans sa tendre affection pour moi, vint me voir et s’efforça de me détourner de la foi. — Mon père, lui dis-je, vois-tu ce petit vase ? — Oui, dit-il, je le vois. — Alors je dis : « Puis-je le nommer autrement que ce qu’il est ? ». Il répondit : « Non ». — Je ne puis non plus, continuai-je, me nommer autrement que ce que je suis, c’est-à-dire une chrétienne. Mon père me regarda comme s’il eût voulu m’arracher les yeux ; mais il m’accabla seulement de paroles dures, puis il partit. Alors je fus plusieurs jours sans le voir, mais je fus rendue capable de rendre grâces à Dieu, et son absence fut adoucie pour mon cœur ». Quelques jours après, les jeunes chrétiens eurent la grande joie de recevoir le baptême et de participer à la cène, car, bien que gardés, ils n’avaient pas encore été enfermés dans le cachot. Ce jour arriva bientôt, et Perpétua écrit : « Au bout de quelques jours, nous fûmes jetés dans la prison. Je fus saisie de terreur, car jamais auparavant je n’avais été dans une obscurité aussi complète. Quel jour terrible ! La chaleur excessive causée par le grand nombre de prisonniers, la brutalité des soldats, et l’inquiétude que j’éprouvais à cause de mon enfant, tout m’accablait. Mais deux de nos diacres obtinrent à prix d’argent que nous fussions transférés quelques heures par jour dans une meilleure partie de la prison, loin des autres captifs. Chacun reprit son occupation habituelle, mais moi je m’assis et allaitai mon enfant presque mort de faim. Dans mon anxiété, je parlai à ma mère pour la consoler et je recommandai l’enfant à mon frère. Je m’affligeai en les voyant peinés à mon sujet, et je souffris plusieurs jours. Mais l’enfant s’accoutuma à rester avec moi dans la prison, et aussitôt la force me revint, je fus délivrée de tout souci et d’inquiétude pour mon enfant, et la prison devint pour moi comme un palais. En vérité, j’y étais plus heureuse que je n’aurais pu être nulle part ailleurs ». Après avoir raconté un songe qu’elle eut et qu’elle regarda comme un signe qu’elle et son frère, emprisonné aussi, souffriraient bientôt le martyre, Perpétua continue : « Après quelques jours, le bruit se répandit que nous allions être interrogés. Mon père arriva de la ville, la figure dévastée par le chagrin, et essaya encore de m’ébranler. Il me dit : « Ma fille, aie pitié de mes cheveux blancs ; aie pitié de ton père, si tu me crois encore digne de ce nom ! Ne t’ai-je pas élevée ? Ne m’as-tu pas été plus chère que mes autres enfants ? Ne m’expose pas ainsi au mépris des hommes. Pense à ton frère, à ta mère, à ta tante ; pense à ton enfant, à ton fils qui ne peut vivre, si tu meurs. Fais fléchir ton orgueil ; ne nous plonge pas tous dans la ruine ». Ainsi parlait mon père, me baisant les mains et se jetant à mes pieds, et, au milieu de ses larmes, ne m’appelant plus sa fille, mais sa « dame ». Et j’étais affligée à cause des cheveux blancs de mon père, et de ce que lui seul de toute la famille ne se réjouissait pas de mon martyre. Et je m’efforçais de le consoler, lui disant : « Ce qui arrivera quand je paraîtrai devant le tribunal, dépend de la volonté de Dieu, car nous ne subsistons pas par notre propre force, mais uniquement par la puissance de Dieu ». Et il s’éloigna en gémissant. Un autre jour, tandis que nous prenions notre repas, nous fûmes soudainement appelés à comparaître. Une multitude immense entourait le tribunal. Nous gravîmes les degrés, et les autres furent interrogés et firent leur confession. Et mon tour vint, et aussitôt mon père apparut portant mon enfant. Et il me tirait en bas des degrés, me disant d’un ton suppliant : « Aie pitié de moi et de ton enfant ». Et le procurateur Hilarianus dit aussi : « Épargne les cheveux blancs de ton père ; épargne ton petit enfant ; sacrifie aux dieux pour la prospérité de l’empereur ». Et je répondis : « je ne veux pas sacrifier ». — « Es-tu chrétienne ? » dit Hilarianus. Je répondis : « Je suis chrétienne ». Et comme mon père était encore là près de moi, cherchant à m’entraîner, Hilarianus ordonna qu’il fût jeté par terre et battu de verges. Et je fus affligée de ce qui arrivait à mon père, et je souffris plus, à cause de son âge avancé, que si moi-même j’avais reçu les coups. Hilarianus prononça la sentence, et nous fûmes tous condamnés aux bêtes féroces, et nous retournâmes à la prison remplis de joie ». Perpétua avait été rendue capable, par la grâce toute puissante de Dieu, de s’élever au-dessus même des sentiments maternels. Il ne lui fut plus permis d’avoir son enfant auprès d’elle, mais elle avait pu le confier aux soins de sa mère et de son frère. Quant à elle, elle avait les yeux fixés sur « Jésus, le Chef et le consommateur de la foi », le Témoin fidèle, qui « à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix, ayant méprisé la honte, et est assis à la droite du trône de Dieu » (Hébreux 12:2 ; Apocalypse 1:5). Les martyrs aussi, à la suite de leur divin Chef, méprisaient les souffrances et la honte, et attendaient la gloire. Perpétua et ses compagnons étaient réservés pour être exposés aux bêtes, pour l’amusement du peuple, lors des fêtes célébrées à l’occasion de l’anniversaire du fils de l’empereur. Avant ce moment, l’un d’eux mourut dans la prison. Les autres se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus (Actes 5:41). Leur paix, leur patience et leur constance agirent de telle sorte sur le cœur de leur geôlier Pudas, qu’il fut gagné au Sauveur. Il permit aux confesseurs du nom de Christ de recevoir les visites de quelques-uns des frères, ce qui consola beaucoup les prisonniers. Le cœur de Perpétua fut de nouveau soumis à une douloureuse épreuve. « Le jour des jeux approchait », dit-elle, « et mon père entra accablé de douleur. Et il commença à s’arracher la barbe, à se jeter la face contre terre, et à désirer que la mort vînt le prendre, et à dire des paroles qui auraient remué le cœur le plus dur et moi j’étais extrêmement affligée de la peine qui accablait sa vieillesse ». Mais la fidèle servante de Christ, bien qu’ayant le cœur brisé, sortit victorieuse de cette dernière lutte. L’esclave Félicité montra aussi la fermeté de sa foi. Comme elle était sur le point de mettre son enfant au monde, et qu’elle souffrait et se plaignait beaucoup, un des employés de la prison lui dit : « Que sera-ce donc quand tu seras exposée aux bêtes féroces ? Tu n’y as pas pensé, quand tu as refusé de sacrifier ». Félicité répondit : « J’endure maintenant mes propres souffrances, mais alors un autre sera avec moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour l’amour de Lui ». La fin triomphante des martyrs approchait. Quand le jour fut venu, ils portaient sur leurs visages l’expression d’une joie céleste et d’une paix inébranlable, dit celui qui continue le récit de Perpétua. Ils refusèrent de se laisser revêtir, les hommes, de la robe écarlate des prêtres de Saturne, les femmes, de celle des prêtresses de Cérès. « Nous donnons notre vie », dirent les martyrs, « parce que nous ne voulons avoir aucune part à ces coutumes profanes. Laissez-nous notre liberté ». On céda à leur juste demande. Après s’être donné le baiser d’amour fraternel et avoir pris congé l’un de l’autre, dans la ferme espérance de se retrouver bientôt auprès du Seigneur, ils s’avancèrent vers le lieu de leur supplice. Tous louaient Dieu à haute voix, Perpétua chantait un psaume. Les hommes furent livrés aux lions, aux tigres et aux léopards, et les femmes à une vache furieuse. Après que Perpétua eut subit ses assauts, elle se releva toute meurtrie, et, oubliant ses propres souffrances, elle alla aider et encourager Félicité qui gisait dans l’arène mortellement blessée. Ses dernières paroles furent pour exhorter son frère à persévérer dans la foi. Le peuple demanda que les martyrs fussent livrés aux gladiateurs, afin d’avoir le plaisir de les voir mourir. Perpétua, tombée entre les mains d’un gladiateur maladroit qui la blessa sans la tuer, guida elle-même la main de son meurtrier vers sa poitrine. Ainsi tous s’endormirent en Jésus. Ils « ont vaincu par le sang de l’Agneau, … et ils n’ont pas aimé leur propre vie, même jusqu’à la mort ». Les persécuteurs voulaient anéantir le nom de Christ, mais plus on les persécutait, plus les chrétiens se multipliaient. Le sang des martyrs était la semence de l’Église.

3.7 Répit dans les persécutions Après la mort de l’empereur Septime Sévère, sous le règne duquel les chrétiens avaient été si cruellement persécutés, l’Église jouit d’une tranquillité relative jusqu’à l’avènement de Décius, en l’an 249. Cette paix ne fut troublée que pendant le court règne de Maximin, dont nous dirons un mot. Durant une période de moins de quarante ans, dix empereurs se succédèrent sur le trône de Rome, et ce fut peut-être grâce à ces bouleversements incessants dans l’empire, que les chrétiens durent, par la bonté de Dieu, de n’être pas persécutés. Celui de ces empereurs qui régna le plus longtemps fut Alexandre Sévère. Il n’avait pas seize ans quand il obtint le pouvoir, et le garda durant treize années. Sa mère Mammée, qui eut toujours une grande influence sur lui, aimait les chrétiens. Se trouvant à Antioche, elle avait fait venir auprès d’elle le célèbre docteur chrétien Origène, afin d’être instruite par lui des vérités de la foi. Mais bien qu’un ancien historien la nomme une femme distinguée par sa piété et sa crainte de Dieu, rien ne prouve qu’elle eût été réellement convertie. Toutefois ce fut sans doute grâce à elle qu’Alexandre se montra constamment favorable aux chrétiens, dont plusieurs se trouvaient parmi les officiers de sa maison. Alexandre d’ailleurs était d’un caractère naturellement religieux et vénérait également toutes les formes de culte ; c’est ainsi qu’il donna aussi une place au christianisme. On dit qu’il avait eu la pensée de faire élever un temple à Christ, et de le mettre publiquement au nombre des dieux reconnus. En attendant, il avait son image et celle d’Abraham dans sa chapelle domestique, au milieu des statues représentant les dieux du paganisme et les bienfaiteurs de l’humanité. Il admirait et citait souvent ces paroles du Seigneur : « Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de même » (Luc 6:31). Il les fit même écrire en grandes lettres sur les murs de son palais et d’autres édifices publics. Tout cela ne faisait pas d’Alexandre Sévère un chrétien, mais Dieu donnait, par son moyen, du répit à l’Église persécutée. Malheureusement ce temps de calme fut pour les chrétiens une époque de décadence dans la piété. Pendant le règne d’Alexandre Sévère, la situation du christianisme vis-à-vis du monde subit un grand changement. Ce fut à cette époque que les chrétiens commencèrent à élever des édifices publics pour se rassembler, et l’empereur les favorisa en cela. Jusqu’alors, au grand étonnement des païens, ils n’avaient eu ni temples, ni autels. Tandis que les Juifs eux-mêmes avaient partout leurs synagogues publiques, les lieux où les chrétiens se rassemblaient n’avaient aucun cachet distinctif. Comme nous le lisons dans les Actes et les Épîtres, et comme nous savons que cela eut lieu longtemps après, ils se réunissaient dans des maisons particulières (Actes 12:12 ; 19:9 20:7-8 ; Romains 16:23 ; 1 Corinthiens 16:19 ; Colossiens 4:15 ; Philémon 2). À Rome, ce fut souvent dans les catacombes, le lieu de repos de leurs morts. Dans les temps de persécution, ils pouvaient ainsi plus aisément échapper à leurs ennemis, mais en même temps ces réunions secrètes donnèrent lieu à beaucoup d’accusations. Les païens qui ne pouvaient se représenter un culte sans temple ou édifice sacré, étaient disposés à penser que ces rassemblements mystérieux cachaient des actes honteux et coupables. Maintenant les chrétiens pouvaient se réunir ouvertement dans des édifices exposés aux yeux de tous. Il sembla, pour un temps, que le christianisme était devenu une des nombreuses religions tolérées. Mais tout, en réalité, ne dépendait que de la bonne volonté de l’empereur ; les sévères édits des empereurs précédents n’étaient nullement abrogés ; le danger était toujours là. Les chrétiens l’éprouvèrent à la mort d’Alexandre Sévère. Ce jeune empereur, âgé seulement de vingt-neuf ans, qui voulait rétablir la discipline dans ses légions, fut assassiné dans sa tente par les soldats révoltés à l’instigation de Maximin. Ce dernier, choisi par les soldats pour succéder à Alexandre comme empereur, était un rude paysan thrace, d’une taille et d’une vigueur colossales. Il s’était élevé par son courage aux plus hauts grades militaires, mais était d’une cruauté excessive. Il fit périr tous les amis d’Alexandre. Parmi eux, se trouvaient plusieurs évêques chrétiens qu’il fit mettre à mort, non pas tant comme chrétiens que comme ayant joui de la faveur du précédent empereur. Et c’est une chose triste à mentionner, que les conducteurs des églises eussent peu à peu acquis une position terrestre mal en harmonie avec leur vocation comme serviteurs de Christ. Il ne faut pas s’étonner que la main de Dieu s’appesantît sur eux. Mais Maximin ne se borna pas à persécuter les évêques. Toutes les classes des chrétiens éprouvèrent les effets de sa cruauté. Le peuple entraîné par son exemple, frappé aussi par les désastres que causèrent en divers lieux de grands tremblements de terre qu’il attribuait à la colère des dieux, sentit renaître sa haine contre les chrétiens. Sa fureur ne connut pas de bornes. Les édifices nouvellement érigés pour le culte furent brûlés, et ceux qui professaient la foi furent cruellement persécutés. Le règne de Maximin fut heureusement de courte durée. Sa cruauté et sa licence soulevèrent contre lui les soldats qui le massacrèrent. Après lui, pendant une période agitée de douze années, durant laquelle se succédèrent quatre ou cinq empereurs, l’Église jouit de la tranquillité. Avant de parler de la terrible persécution générale qui suivit ces temps de paix, nous dirons quelques mots du bas état spirituel où étaient tombés les chrétiens, et qui, disaient quelques-uns de leurs écrivains de ce temps, avait rendu nécessaire une persécution. Satan est représenté dans la parole de Dieu sous la figure d’un « lion rugissant… cherchant qui il pourra dévorer » (1 Pierre 5:8). Tel il se montre dans les temps de persécution, comme c’était le cas quand Pierre écrivait sa première épître (Chapitre 4:12 ; 5:9). Mais il nous est aussi présenté sous l’image du serpent subtil et rusé, cherchant à séduire les âmes par toutes sortes d’artifices et à les détourner de Christ (2 Corinthiens 11:3 ; Apocalypse 12:9). C’est ainsi qu’il agit aux époques de paix et de tranquillité de l’Église, et, sous cette forme, il est beaucoup plus dangereux que quand il déchaîne sa fureur d’une manière violente. Nous avons donc, nous, à être tout particulièrement en garde contre lui. C’est par les attraits du monde, par les diverses convoitises de la chair et des yeux, par l’amour des aises de la vie et des richesses, par la recherche des honneurs et d’une position dans le monde, que le diable cherche à agir sur les chrétiens. Ceux de ces temps-là, comme hélas ! ceux du nôtre, ne se laissèrent que trop égarer par l’ennemi, et tombèrent dans la mondanité. Les hommes étaient devenus efféminés et recherchaient leurs aises ; les femmes avaient cessé de montrer dans leur tenue la modestie et la simplicité recommandée par l’apôtre (1 Pierre 3:1-6) ; le clergé lui-même était ambitieux et avide d’honneurs et d’argent. Ce qui explique la mondanité croissante chez les chrétiens, c’est que, pour un grand nombre, la foi n’était plus, ainsi qu’aux premiers temps, une conviction inébranlable, résultat de l’œuvre de Dieu dans l’âme, mais une croyance inculquée dans l’esprit par une éducation chrétienne. N’est-ce point là ce que l’on trouve aussi si généralement répandu de nos jours ? Il n’y avait donc plus chez un très grand nombre de ceux qui portaient le nom de chrétiens, la vie, la sève fortifiante, mais seulement une forme de piété (2 Timothée 3:5). Origène, en Orient, et Cyprien, en Occident (*), sont unanimes à déplorer dans leurs écrits l’esprit de mondanité qui s’était glissé dans l’Église ; le luxe, l’avidité et l’orgueil du clergé, aussi bien que la vie frivole et profane des simples chrétiens.

(*) Nous reparlerons de ces deux hommes distingués. Voici sur ce sujet quelques paroles de Cyprien : « Le Seigneur a voulu éprouver son peuple, et comme la règle de vie selon la piété a été mise en oubli durant le long temps de paix dont nous avons joui, un jugement de Dieu est tombé sur nous afin de réveiller notre foi affaiblie, et je pourrais presque dire endormie. Nous aurions mérité davantage pour nos péchés, mais le Seigneur, plein de miséricorde, a disposé de tout ce qui nous est survenu de telle sorte qu’il semble que ce soit une épreuve plutôt qu’une persécution. Au lieu de penser à ce qu’était la vie des croyants du temps des apôtres et à ce qu’elle doit toujours être chez ceux qui sont à Christ, les chrétiens travaillaient avec une avidité jamais assouvie à accroître leurs biens terrestres. Et beaucoup d’évêques qui auraient dû enseigner les autres par leurs paroles et leur exemple, négligeaient leur vocation divine et recherchaient les choses du monde ». Tel était l’état d’un grand nombre d’assemblées quand la persécution survint. N’y a-t-il pas là de quoi nous faire réfléchir et nous donner une leçon salutaire ?

3.8 Persécution sous Décius L’Église en général était donc tombée, durant les années de paix dont elle avait joui, dans un fâcheux état spirituel. Le Seigneur, comme le disait Cyprien, afin de la réveiller de ce sommeil fatal, permit qu’elle passât par une persécution plus terrible qu’aucune de celles qui avaient précédé. Ce qui la distingua fut qu’elle sévit avec une rigueur excessive dans toutes les provinces de l’empire romain. Une des causes de cette persécution fut probablement le refus des chrétiens de participer aux fêtes solennelles célébrées en l’an 247, à l’occasion du millénaire de la fondation de Rome. Toutefois, aussi longtemps que l’empereur Philippe régna, il protégea les chrétiens contre l’inimitié des prêtres des idoles et la fureur du peuple. Mais en 249, il fut vaincu et tué par Décius qui le remplaça sur le trône impérial. Le nouvel empereur était un fervent sectateur du paganisme, qu’il voulait rétablir dans toute son ancienne splendeur. Il résolut donc d’extirper entièrement le christianisme, et pour cela ordonna aux magistrats dans toutes les provinces, de remettre en vigueur les anciens édits portés contre les chrétiens. Sous peine de leur propre vie, il leur commanda de faire périr tous les chrétiens sans exception, ou de les ramener à la religion de leurs pères par les menaces, les châtiments et les tortures. L’empereur Trajan avait rendu un édit qui défendait de rechercher les chrétiens, et un autre contre les dénonciations anonymes et surtout contre les esclaves qui trahissaient leurs maîtres. Sous Décius, on ne tint aucun compte de ces édits. Les magistrats recherchaient les chrétiens, les accusateurs ne couraient aucun risque, et il suffisait du bruit public pour qu’une personne fût considérée comme coupable de christianisme. Décius, par son édit, ordonna de rechercher exactement tous ceux qui refusaient leur adhésion à la religion de l’État, ou qui étaient même simplement soupçonnés de ne pas s’y soumettre. Partout où ce terrible édit était promulgué, on assignait un jour où tous les chrétiens de l’endroit devaient comparaître devant le magistrat pour abjurer leur religion. On commençait par les sommer de faire profession de paganisme en offrant de l’encens sur les autels des faux dieux. S’ils refusaient, on cherchait d’abord à les intimider et à les ébranler par des menaces ; persistaient-ils, on les soumettait à la torture ; celle-ci n’avait-elle point d’effet, on les conduisait au supplice. Dans l’espace de deux ans — durée du règne de Décius — des milliers de chrétiens furent ou livrés aux flammes, ou emprisonnés et torturés jusqu’à la mort. Les évêques surtout étaient l’objet de la haine du tyran. Un grand nombre de chrétiens s’enfuyaient avant que le jour fatal où ils devaient comparaître fût arrivé. Ils se condamnaient ainsi volontairement à un exil perpétuel, car leurs biens étaient confisqués et le retour leur était interdit sous peine de mort. Souvent on jetait en prison ceux qui étaient restés fermes dans les tortures, afin que les souffrances prolongées causées par le séjour dans des cachots infects, par la faim et la soif, les amenassent à abandonner leur foi. Plusieurs, en grand nombre, hélas ! étaient relâchés sans avoir sacrifié, après s’être procuré à prix d’argent un témoignage du magistrat attestant qu’ils avaient obéi à l’édit impérial. Mais l’Église les considérait comme ayant de cette manière abjuré en réalité le christianisme, et les repoussait de son sein. Denis, évêque d’Alexandrie, rapporte en ces termes l’effet produit par l’édit impérial : « Beaucoup de chrétiens distingués par leur position se sont soumis, quelques-uns poussés par la crainte, d’autres pressés par leurs amis. Un grand nombre se tenaient devant le magistrat, pâles et tremblants, ne voulant point participer aux rites idolâtres, mais n’étant point préparés à persévérer jusqu’à la mort. D’autres supportaient jusqu’à un certain point les douleurs de la torture, mais ensuite cédaient ». Tel était le triste résultat du relâchement où les chrétiens étaient tombés en s’associant avec le monde. Il ne nous conviendrait cependant pas, à nous qui vivons dans un temps paisible de liberté religieuse de juger avec sévérité la faiblesse de ceux qui cédaient aux tourments. Dieu nous a épargné ces épreuves jusqu’ici. Qu’aurions-nous fait à leur place ? Demandons au Seigneur de nous donner de Lui être fidèles et de ne pas succomber aux tentations du monde, aux convoitises de notre cœur naturel. Mais dans ces jours si sombres, le Seigneur eut aussi ses fidèles témoins qui souffrirent pour Lui, perdirent leurs biens et haïrent leur vie dans ce monde-ci, afin de la conserver « pour la vie éternelle » (Jean 12:25). Denys d’Alexandrie raconte qu’un grand nombre, fortifiés par le Seigneur, tinrent fermes comme des colonnes, témoins admirables de sa grâce. Parmi eux, il mentionne un jeune garçon de quinze ans, nommé Dioscore, qui répondit avec la plus grande sagesse aux questions qui lui furent posées, et qui, au milieu des tourments, montra une telle fermeté que le magistrat en fut étonné. Il le relâcha dans l’espérance qu’arrivé à un âge plus mûr, il reconnaîtrait son erreur. Une femme fut traînée par son propre mari devant l’autel, et, tandis qu’un autre lui tenait fortement les mains, il la força, malgré elle, à répandre sur le feu l’encens offert aux idoles. Mais elle, durant tout ce temps, s’écriait : « Ce n’est pas moi qui le fais, ce n’est pas moi qui le fais ». Encore ici, le Seigneur se glorifia dans la faiblesse de ses fidèles témoins. À Carthage, où, dans une persécution précédente, les chrétiens avaient déjà tant souffert, les confesseurs de Christ jetés dans les cachots, eurent à endurer les souffrances d’une chaleur excessive, de la faim et de la soif. On espérait les obliger ainsi à se soumettre aux ordres de l’empereur, mais bien que la mort la plus douloureuse fût devant eux, ils tinrent ferme. Combien ils devaient être soutenus et rafraîchis en pensant aux temps dont il est parlé dans l’Apocalypse : « Ils n’auront plus faim et ils n’auront plus soif, et le soleil ne les frappera plus, ni aucune chaleur, parce que l’Agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux fontaines des eaux de la vie » (Apocalypse 7:16-17). À Rome, plusieurs chrétiens furent enfermés dans les prisons pendant plus d’une année. De leur lieu de souffrance ils écrivaient à Cyprien, évêque de Carthage : « Quel lot plus glorieux y a-t-il pour des hommes que de pouvoir, par la grâce de Dieu, confesser le Seigneur au milieu des tourments et devant la mort même ; d’être rendus capables, avec un corps lacéré et un esprit défaillant, mais libre, de rendre témoignage à Christ, le Fils de Dieu, et d’être pour l’amour de Lui participants de ses souffrances ? Nous n’avons pas encore versé notre sang, mais nous sommes prêts à le faire. Priez pour nous, cher Cyprien, afin que, jour après jour, le Seigneur affermisse chacun de nous et nous fortifie par la puissance de sa force ; afin que, comme un habile général, après avoir exercé et éprouvé ses guerriers dans le camp au milieu des dangers, Il nous conduise enfin sur le champ de bataille qui est devant nous, revêtus des armes invincibles de Dieu ». Bien des évêques de différentes églises succombèrent dans cette terrible persécution. Parmi eux, Babylas, évêque d’Antioche, avait été condamné à être décapité avec six jeunes catéchumènes. Il les vit périr sous ses yeux, puis livrant sa tête au bourreau, il s’écria : « Me voici, mon Dieu, avec les enfants que tu m’as donnés ». On raconte aussi que du rang même des bourreaux sortirent parfois des confesseurs du nom de Christ. Des soldats de la garde d’un proconsul, voyant un chrétien faiblir devant les menaces, lui firent signe de ne pas céder. Le proconsul les fit aussitôt saisir et emmener, et ils moururent avec joie en confessant leur foi. Le Seigneur, après deux années de cette épreuve semblable à une fournaise ardente ou à un creuset destiné à épurer l’Église, y mit enfin un terme. Décius périt dans un combat contre les Goths. Le Seigneur qui « châtie celui qu’il aime », avait donné à l’Église un solennel avertissement, afin de lui faire comprendre qu’elle n’était pas du monde et qu’il voulait qu’elle fût toute à Lui. Il eût été heureux qu’elle écoutât la répréhension. Nous verrons plus tard si ce fut le cas. Mais auparavant, nous aurons à parler de la dernière persécution, et aussi de quelques-uns des hommes éminents dans l’Église à l’époque de ces épreuves.

3.9 Persécution sous Valérien — Martyre de Cyprien Après la mort de Décius, il y eut pour l’Église quelques courtes années de relâche ; mais à la fin du règne de Valérien, en l’an 257, la persécution recommença avec violence. Par un premier édit, l’empereur défendit aux chrétiens de se réunir ; un second édit condamna au travail des mines ceux qui n’obéissaient pas ; et un troisième ordonna que tous les évêques, les prêtres (ou anciens) et les diacres fussent mis à mort. C’est dans cette persécution que l’évêque de Rome Étienne et son successeur Sixte souffrirent le martyre. Comme on conduisait ce dernier au supplice, son fidèle disciple, le diacre Laurent, le suivait en disant : « Où vas-tu, mon père, sans ton fils ? » — « Tu me suivras dans peu de jours », répondit l’évêque. Peu après sa mort, le préfet de Rome fit arrêter et amener devant lui Laurent, auquel il ordonna de lui livrer les richesses immenses que possédaient, disait-on, les chrétiens de Rome. Laurent lui demanda un peu de temps pour mettre tout en ordre. Le magistrat lui accorda trois jours, au bout desquels Laurent l’invita à venir voir les richesses de l’Église, une grande cour, disait-il, pleine de vases d’or. Le préfet accourut, et Laurent l’introduisit dans la cour remplie de pauvres et d’estropiés : « Voilà les trésors que je t’ai promis », dit-il, « et voici les pierres précieuses que j’y ajoute, nos vierges et nos veuves, la couronne de l’Église ». Le préfet irrité ordonna que Laurent fût dépouillé de ses vêtements, puis attaché sur un gril de fer et brûlé à petit feu. Le martyr, près d’expirer, leva les yeux au ciel, pria pour la conversion des habitants de Rome, puis remit son esprit au Seigneur. C’est aussi dans cette persécution qu’à Césarée, en Cappadoce, un enfant chrétien, nommé Cyrille, soutenu par le Seigneur, montra un courage extraordinaire. Persécuté par ses camarades, chassé par ses parents, conduit devant le tribunal, il demeura ferme, malgré toutes les sollicitations et les promesses du juge. « Je suis chassé de la maison de mes parents », répondit l’enfant, « mais j’ai une plus belle demeure, et je ne crains pas la mort qui m’introduira dans une meilleure vie ». Le juge le fit conduire au bûcher, espérant que la vue du feu triompherait de sa résolution. Mais ce fut en vain, et le jeune martyr subit le supplice. Ainsi la puissante grâce du Seigneur, dans ces temps de souffrances, soutenait ses fidèles témoins et leur donnait de mépriser les cruelles tribulations du temps présent par amour pour Jésus, et en vue de la gloire éternelle à venir qui les attendait (Romains 8:18 ; 2 Corinthiens 4:16-17). Mais ce n’est que la force du Seigneur qui pouvait les rendre capables de demeurer fermes, et cette force, il la donnait seulement à ceux qui marchaient dans l’humilité. L’exemple suivant est, à cet égard, bien frappant. On raconte qu’à cette même époque de persécution vivaient deux amis, Nicéphore et Saprice. Ce dernier était un pasteur de l’église. Un différend étant survenu entre eux, ils se brouillèrent complètement. Après un certain temps, Nicéphore chercha à se réconcilier avec son ancien ami, mais tous ses efforts furent vains : Saprice persista dans son ressentiment. La persécution de Valérien survint et Saprice fut conduit devant le gouverneur, qui lui ordonna de sacrifier aux dieux. Sur son refus, le magistrat le fit conduire au supplice. Nicéphore l’apprenant, accourt et accompagne son ancien ami vers le lieu de l’exécution, en le suppliant de lui pardonner ses torts. Tout est inutile, Saprice refuse obstinément le pardon demandé. Mais alors on put voir que Dieu ne saurait être avec un cœur dur et qui désobéit à l’injonction : « Vous pardonnant les uns les autres, si l’un a un sujet de plainte contre un autre ; comme aussi le Christ vous a pardonné, vous aussi faites de même » (Colossiens 3:13). Saprice, tout d’un coup, comme abandonné de Dieu, perd courage et demande à sacrifier. Nicéphore, étonné, l’exhorte à demeurer ferme, mais c’est en vain. Alors il déclare à ceux qui conduisaient Saprice que lui, Nicéphore, croit à ce Jésus que son ami vient de renier. Conduit au gouverneur, celui-ci ordonna que le fidèle témoin de Christ fût exécuté. Mais le plus célèbre des martyrs qui perdirent la vie durant la persécution de Valérien, fut Cyprien, évêque de Carthage. Né dans cette ville l’an 200, d’une famille distinguée, il était riche et se faisait remarquer par ses talents. Comme professeur d’éloquence, sa renommée s’était répandue au loin. En même temps, il aimait les plaisirs, les spectacles, les jeux et les festins, et s’étonnait de la vie austère que menaient les vrais chrétiens. Ce ne fut qu’à l’âge de 46 ans, qu’il fut converti au Seigneur par le moyen d’un fidèle ministre de Jésus Christ nommé Cécilius. Dès ce moment, il ne voulut plus vivre que pour Celui qui l’avait aimé. Il vendit tous ses biens pour les distribuer aux pauvres, et, plein du feu de la jeunesse quoique déjà d’âge mûr, il se dévoua entièrement au service de son divin Maître, et fut bientôt connu par son zèle et le sérieux de sa vie comme chrétien. L’étude des saints livres devint sa constante et plus chère occupation, et il la continua jusqu’à la fin de sa vie. Déjà deux ans après sa conversion, le vœu général des chrétiens de Carthage l’appela à occuper la charge d’évêque ou surveillant. Dans le sentiment, de la grandeur de la tâche à remplir, il aurait voulu refuser, mais les instances pressantes de tout le peuple le décidèrent à céder, et durant les dix années qui s’écoulèrent jusqu’à sa mort, il se montra entièrement dévoué à son œuvre. Animé d’un ardent amour pour le Seigneur et pour les âmes, il remplit les devoirs de sa charge avec la plus grande fidélité. C’était un temps de grandes difficultés provenant soit de l’état de relâchement où étaient tombés les chrétiens, soit des persécutions qu’ils avaient à subir, soit enfin des prétentions que commençait à élever l’évêque de Rome. Cyprien fit preuve à la fois de fermeté et de douceur. Il savait encourager et soutenir les faibles, mais résistait fortement au mal qui tendait toujours plus à s’introduire dans l’Église. Il s’opposait en particulier à la légèreté avec laquelle on recevait les nouveaux convertis à la Cène, et à la facilité avec laquelle on admettait de nouveau dans la communion de l’Église ceux qui avaient cédé dans la persécution, soit en sacrifiant aux dieux, soit en achetant des certificats portant qu’ils avaient sacrifié, soit en livrant les livres saints. Il résista aussi énergiquement à l’évêque de Rome qui réclamait la primauté sur les autres évêques, et s’intitulait parfois évêque des évêques. Malgré l’opposition que rencontrèrent ces prétentions, elles s’affirmèrent toujours plus, et c’est ainsi que la papauté prit naissance. Cyprien se montra aussi ferme dans la persécution. Quand celle de Décius éclata, il fut un des premiers désigné par la haine des païens de Carthage, qui n’avaient pas oublié son changement de religion et que son zèle irritait. « Cyprien aux lions », était le cri qui retentissait au théâtre où le peuple païen de Carthage s’assemblait. Cédant aux instances des fidèles, Cyprien se retira à l’écart durant les deux années que dura la persécution, mais sans cesser de donner à son troupeau, du lieu de sa retraite, tous les soins qu’il pouvait. Après la mort de Décius, il revint à Carthage, et reprit son ministère actif. Il eut l’occasion de l’exercer d’une manière particulière durant une peste terrible qui éclata dans cette ville. Tous, saisis de frayeur, s’enfuyaient, abandonnant même leurs proches. Cyprien assembla les membres de son troupeau, et leur rappela le devoir de tout disciple de Christ de s’adonner aux œuvres de miséricorde, non seulement envers leurs frères en la foi, mais même envers leurs ennemis. Si pressantes furent ses exhortations que les fidèles, animés du même esprit que lui, se partagèrent les soins à donner aux pestiférés, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens et les païens, et montrant ainsi à ces derniers la réalisation de la parole du Seigneur : « Aimez vos ennemis ». Lorsque éclata de nouveau, l’an 257, la persécution sous l’empereur Valérien, Cyprien fut amené devant le proconsul d’Afrique, Paternus. Sur son refus de sacrifier aux dieux, il fut exilé à Curubes, ville située à une journée de marche de Carthage. Il y resta onze mois. Au bout de ce temps, Paternus fut remplacé par Galère-Maxime. Celui-ci fit arrêter Cyprien dans sa demeure et ordonna de le ramener à Carthage. Le pieux évêque ne se dissimula point que sa fin était arrivée. Avec un cœur paisible et un visage serein, il se mit en route sous la conduite des officiers et des soldats envoyés pour le prendre. Une indisposition du proconsul empêcha qu’il ne comparût le jour même où il avait été cité. Le bruit de l’arrestation de l’évêque bien-aimé s’était répandu partout avec la rapidité de l’éclair. Presque tous les fidèles passèrent la nuit autour de la maison où Cyprien avait été renfermé. Le lendemain, sous une forte escorte et entouré d’une foule considérable, il fut conduit devant le proconsul. « Es-tu Thascius Cyprien, évêque de tant d’hommes impies ? » lui demanda le magistrat. — « Je le suis », répondit Cyprien. — « L’empereur ordonne que tu sacrifies à nos dieux ». — « Je ne le puis, je suis chrétien ». — « Réfléchis sérieusement à ce que tu fais ; il y va de ta vie », dit encore le proconsul. — « Exécute les ordres que tu as reçus », répondit tranquillement Cyprien. « La chose ne demande pas d’autres réflexions. C’est à mon Dieu que je dois obéir ». Le proconsul se consulta un moment avec ceux qui l’entouraient, puis rendit cette sentence : « Nous ordonnons que Thascius Cyprien, qui a méprisé les dieux et les ordres du pieux empereur, ait la tête tranchée ». — « Dieu soit loué, qui va me délivrer de ce corps de mort », s’écria Cyprien à haute voix. — « Mourons avec lui », dirent les frères qui étaient présents. Cyprien fut aussitôt livré à ses bourreaux, conduit dans un champ voisin et là décapité. Chose remarquable, Galère-Maxime mourut quelques jours après celui qu’il avait condamné à mort. Et deux ans plus tard, la persécution ayant duré pendant trois ans avec la plus extrême violence, l’armée romaine fut presque entièrement anéantie par les Perses. Valérien, fait prisonnier par Sapor, le roi de Perse, fut traité de la manière la plus ignominieuse par ce dernier qui se servait de lui comme d’un marchepied pour monter à cheval. Après plusieurs années de souffrances, il mourut sous le poids des douleurs et des mauvais traitements qu’il endura. Sapor fit écorcher et saler son corps, et le suspendit à la voûte d’un temple. Cette triste fin de plusieurs des persécuteurs des chrétiens frappa beaucoup les esprits. On commença à penser que les ennemis du christianisme étaient aussi ceux du ciel. Durant les quarante années qui suivirent, l’Église jouit de la tranquillité extérieure, mais ce fut un temps de grand déclin dans la vie et dans la piété. Alors le Seigneur lui donna encore un dernier grand et solennel avertissement par la persécution qui eut lieu sous l’empereur Dioclétien.

3.10 La dernière grande persécution sous Dioclétien Après la sanglante persécution qui eut lieu sous Valérien, l’Église, comme nous l’avons dit, avait joui d’un long repos. Vers la fin de cette période, de grands changements avaient eu lieu dans le gouvernement du vaste empire romain. Dioclétien, l’empereur d’alors, qui avait commencé à régner en l’an 284, s’était associé son ami Maximin pour gouverner l’empire. Celui-ci avait à régir l’Occident et Dioclétien l’Orient. De plus, chaque empereur s’était adjoint, sous le nom de « césar », un lieutenant qui devait lui succéder. Le césar d’Occident se nommait Constance, celui d’Orient était Galère, gendre de Dioclétien. Durant la longue période de paix qu’avait traversée l’Église, elle avait atteint un degré de prospérité extérieure que rien n’aurait pu faire présager. Dans toutes les classes de la société, les chrétiens étaient nombreux. Ils occupaient de hautes charges dans l’État, dans l’armée, et même à la cour de Dioclétien. Jusqu’à l’impératrice et sa fille Valéria s’étaient, dit-on, jointes aux chrétiens. Dans la plupart des villes, ils avaient construit des édifices où ils se rassemblaient pour leur culte. À Nicomédie où résidait l’empereur, en face même de son palais, s’élevait un temple chrétien. Mais si l’Église avait prospéré extérieurement, intérieurement elle s’était bien détournée de la pureté et de la simplicité de l’Évangile. Les persécutions qu’elle avait souffertes, ne l’avaient pas arrêtée dans la voie du déclin, elle n’avait pas prêté l’oreille aux avertissements du Seigneur qui lui avait dit : « Souviens-toi donc d’où tu es déchu, et repens-toi, et fais les premières œuvres » (Apocalypse 2:5). Dans les églises, on commençait à voir de riches tentures, des vases d’or et d’argent, et des cérémonies empruntées au culte judaïque tendaient à s’introduire et à remplacer l’adoration en esprit et en vérité (Jean 4:23-24). Les grandes vérités enseignées par les apôtres touchant la nouvelle naissance et la justification du pécheur par la foi, étaient oubliées ou n’étaient plus comprises. La régénération par l’eau du baptême (1 Pierre 3:21) (*) et la justification par les œuvres étaient mises à la place de ces vérités fondamentales, et l’Évangile était perverti (Galates 1:7 ; 2:16). La philosophie, c’est-à-dire les raisonnements de la sagesse humaine, s’était introduite chez les docteurs de l’Église, et les Écritures n’étaient plus reçues dans leur simplicité (Colossiens 2:8). Aussi toutes sortes d’erreurs étaient enseignées, même par les plus distingués de ces docteurs, par exemple, par le célèbre Origène. Les exhortations des pasteurs des troupeaux, au lieu de présenter Christ et sa grâce, n’étaient plus guère que des discours de morale et de philosophie, et la masse des chrétiens était toujours plus attirée vers le monde. Le clergé s’était constitué comme une classe à part, de sorte que la présence et l’action du Saint Esprit dans l’Église étaient méconnues ou oubliées. Les évêques s’étaient arrogé une autorité toujours plus grande (voyez 1 Pierre 5:1-4) (**) ; leur ambition et leurs luttes causaient, au sein des communautés, des querelles et des dissensions qui souvent amenaient des scènes de violence (Galates 5:15). La foi et l’amour allaient s’affaiblissant ; l’orgueil et l’avarice grandissaient. Tel était le triste état intérieur de l’Église. Alors le Seigneur prit encore une fois la verge pour donner un dernier avertissement (Apocalypse 3:19), en permettant à Satan de livrer un suprême assaut à l’Église. Aussi aucune persécution ne fut plus violente.

(*) Ce passage montre que ce n’est pas l’eau du baptême qui régénère. (**) Nous citons les passages qui montrent combien les chrétiens s’étaient écartés du sain enseignement. L’empereur Dioclétien, bien que superstitieux, n’avait au commencement aucune haine contre le christianisme. Constance, en Occident, favorisait les chrétiens, mais Galère, d’un caractère grossier et cruel, les haïssait, et cette haine était entretenue et excitée par sa mère, femme superstitieuse, adonnée à toutes les pratiques du paganisme et tout entière sous le pouvoir des prêtres et des idoles. Ceux-ci voyaient dans la prospérité croissante des chrétiens le présage de leur propre ruine ; aussi leur inimitié contre le christianisme et ceux qui le professaient devenait-elle toujours plus grande, et cherchaient-ils le moyen de se défaire de cette race odieuse. D’un autre côté, les philosophes et les savants dont Dioclétien s’était entouré, ne haïssaient pas moins une religion dont la pureté les condamnait et dont les doctrines répugnaient à leur raison. Ils auraient aussi voulu l’extirper. Malgré leurs efforts, réunis à ceux des prêtres, pour engager Dioclétien à sévir contre les chrétiens, ceux-ci n’eurent rien à souffrir durant les 14 premières années du règne de l’empereur. Alors les adversaires du christianisme se tournèrent vers Galère, qui avait déjà fait éloigner de l’armée tous ceux qui refusaient de sacrifier aux idoles, et qui en avait même fait mourir plusieurs. Dans l’hiver de l’année 302 à 303, Galère vint à Nicomédie, dans le but de presser Dioclétien de sévir contre les chrétiens. Le vieil empereur ne céda pas immédiatement. Les prêtres, connaissant son esprit superstitieux, mirent alors en œuvre, pour le décider, les artifices que leur suggéra leur esprit de mensonge. Comme un jour Dioclétien offrait un sacrifice, les prêtres, selon leur coutume, cherchaient, dans les entrailles des victimes, des présages bons ou mauvais. Mais ils déclarèrent qu’il ne s’y trouvait point de présages. De nouvelles victimes furent immolées ; le résultat fut le même, et les prêtres dirent à l’empereur effrayé que c’était à cause des profanes qui étaient présents. Ils désignaient ainsi les officiers chrétiens qui accompagnaient l’empereur, et qui, durant les sacrifices, faisaient le signe de la croix pour dégager leur conscience (*). Dioclétien irrité ordonna à tous ses officiers de sacrifier, sous peine d’être battus de verges et renvoyés de son service. Il commanda aux chefs de l’armée d’agir de même envers les chrétiens de leurs légions.

(*) Nos lecteurs remarqueront que cette coutume, que l’on peut qualifier de superstitieuse, était une de celles déjà introduites dans l’Église. Mais cela ne satisfit point Galère et sa mère. Ils pressèrent l’empereur de faire étendre la persécution à tous les chrétiens. Avant de se rendre à leur désir, Dioclétien voulut consulter les dieux. Un messager fut donc envoyé dans ce but à l’oracle d’Apollon, à Milet. L’oracle répondit — et l’on prétendit que ce fut le dieu lui-même qui parla — que les justes qui étaient sur la terre, empêchaient les oracles d’être rendus. Qui étaient ces justes ? Les prêtres expliquèrent que c’étaient les chrétiens, et cela décida Dioclétien. Comme nous pouvons voir là la puissance de mensonge de Satan ! Ainsi commença la dixième et dernière persécution qui sévit durant dix années. Le 24 février de l’année 303, fut rendu le premier édit contre les chrétiens. Il portait que tous ceux qui refusaient de sacrifier seraient privés de leurs charges, de leurs biens, de leur rang et de leurs droits de citoyens ; que tous les esclaves qui persisteraient dans leur foi, perdraient tout espoir de recouvrer leur liberté, et que les chrétiens de toute condition pourraient être soumis à la torture. Toutes les églises devaient être détruites, les réunions religieuses étaient interdites, et les livres saints devaient être livrés aux officiers de l’empereur et brûlés. Cette tentative de détruire les Écritures où les chrétiens puisaient leur foi, était de la part de Satan un effort tout nouveau. Mais la parole de Dieu, béni soit-Il, ne peut être anéantie (Jean 10:35 ; 1 Pierre 1:25). Satan savait bien, pour l’avoir éprouvé, qu’elle est l’épée de l’Esprit (Matthieu 4:1-10 ; Éphésiens 6:17). La faire disparaître était ruiner le christianisme. Les philosophes de la cour de l’empereur furent sans doute en cela les instruments de l’ennemi. Les Écritures étaient l’arsenal où les chrétiens puisaient leurs armes contre eux. La puissance romaine, représentée par la quatrième bête, et qui reparaîtra plus terrible dans l’avenir, faisait ainsi de toutes manières la guerre aux saints (*) (Daniel 7 ; Apocalypse 13:7 ; 17:8). L’église de Nicomédie fut détruite sous les yeux de l’empereur, et les saints livres qu’on y trouva furent brûlés. En beaucoup d’autres endroits, les églises furent aussi renversées, et les chrétiens qui refusèrent de livrer les Écritures furent mis à mort.

(*) On a vu, dans un temps plus rapproché de nous, les mêmes moyens employés contre ceux qui ne voulaient suivre que la parole de Dieu, et ces persécutions partaient d’un corps religieux qui se dit la véritable Église ! À peine l’édit eut-il été affiché à Nicomédie, qu’un chrétien de noble condition le déchira. On peut comprendre son indignation, mais nous ne pouvons approuver son action, car il faut être soumis aux autorités. Malgré sa haute position, il fut condamné à mort et brûlé à petit feu. Dieu le soutint dans ses terribles souffrances, de sorte que sa fermeté à les supporter frappa d’étonnement ses bourreaux. Peu de temps après, à deux reprises différentes, le feu prit au palais impérial. Sans qu’il y eût de preuve, on accusa les chrétiens d’être les auteurs de ces tentatives d’incendie. On soupçonna Galère de n’y avoir pas été étranger ; il voulait pousser l’empereur à des mesures plus rigoureuses, et déclara qu’il quittait Nicomédie où, disait-il, sa vie était en danger. Dioclétien crut qu’en effet les chrétiens étaient coupables. Effrayé et irrité au plus haut point, il donna les ordres les plus sévères. Nombre de personnes furent jetées en prison et soumises aux plus cruelles tortures pour leur faire avouer leur crime. Plusieurs furent brûlés, décapités ou noyés. Galère et sa mère avaient ainsi atteint leur but. La persécution sévit contre tous les chrétiens de quelque condition qu’ils fussent. Dioclétien contraignit même l’impératrice Prisca et sa fille Valéria à sacrifier aux dieux. Il fit de même à l’égard des officiers de sa cour. Plusieurs préférèrent l’opprobre de Christ à la gloire de ce monde. Ils refusèrent d’obéir et subirent en présence même de l’empereur les tortures les plus cruelles. Ainsi l’un d’eux avait eu le corps déchiré. Dans ses plaies vives on versa, pour aviver ses souffrances, un mélange de sel et de vinaigre, mais rien n’ébranla la constance du martyr. Il tint ferme la confession du nom de Christ et refusa de reconnaître d’autres dieux. Alors l’empereur furieux ordonna qu’il fût brûlé à petit feu. La rage des persécuteurs ne fut pas satisfaite par des supplices isolés. On fit périr en masse les confesseurs de Christ. D’immenses bûchers furent élevés où on les brûlait ensemble. On les jetait dans la mer attachés à de grosses pierres. La persécution s’étendit dans tout l’empire, sauf dans les provinces d’occident où gouvernait Constance. Il se contenta de faire démolir les églises. Peu après la promulgation du premier édit, un second fut rendu dirigé contre les conducteurs du troupeau. Les prisons se remplirent d’évêques, de presbytres (ou anciens) et de diacres. Bientôt après parut un troisième édit, qui défendait de les relâcher à moins qu’ils ne fussent prêts à sacrifier aux dieux. Ceux qui refusaient étaient déclarés ennemis de l’État, et devaient être soumis à la torture et à d’autres peines pour les contraindre à abjurer le christianisme. Un grand nombre des hommes les plus éminents, les plus pieux et les plus respectables de l’Église furent ainsi torturés, mis à mort, ou condamnés aux durs travaux des mines. L’empereur se flattait que, privés de leurs conducteurs, les chrétiens céderaient plus facilement ; mais il fut obligé de reconnaître qu’il n’avait pas atteint son but. Poussé par les prêtres païens et par Galère, il rendit alors un quatrième édit qui surpassait les autres en rigueur. Les magistrats reçurent l’ordre d’employer sans restriction et sans réserve, la torture et les supplices pour forcer tous les chrétiens, hommes, femmes et enfants, à adorer les dieux. Ah ! comme du fond des cœurs devait monter le cri : « Jusques à quand, ô Souverain ! » (Apocalypse 6:10). On a peine à croire à une telle cruauté de la part des hommes. Mais à quoi ne peut se livrer le cœur naturel conduit par Satan, qui est meurtrier dès le commencement ? C’était la lutte suprême que l’ennemi soutenait pour maintenir l’idolâtrie contre Christ. L’édit ayant été rendu, on proclama dans les rues des villes que tous, hommes, femmes et enfants, eussent à se rendre aux temples des dieux pour sacrifier ou recevoir la sentence de mort. Aux portes, on arrêtait ceux qui entraient ou sortaient, et on les soumettait à un strict examen pour savoir s’ils étaient chrétiens. Sur le moindre soupçon, on était saisi et emprisonné. Des familles entières furent égorgées après avoir subi toutes sortes de souffrances. On laissait les prisonniers mourir de faim, ils étaient brûlés, noyés, crucifiés, pendus par les pieds, et mouraient ainsi d’une mort lente. Parfois dix, vingt, soixante et même cent personnes, étaient mises à mort ensemble dans un même endroit et toujours de la manière la plus cruelle. Partout les chrétiens étaient abandonnés sans défense à toute la haine du peuple. Ils n’avaient nul recours auprès des autorités, et on peut aisément penser à quels excès ils furent exposés. Sacrifier aux dieux était le seul moyen d’échapper aux injustices, aux souffrances et à la mort. Pendant quelque temps les persécuteurs crurent qu’ils avaient triomphé. On érigea des colonnes et on frappa des médailles en l’honneur de Dioclétien et de Galère, comme ayant extirpé le christianisme et restauré le culte des dieux. Mais celui qui règne dans les cieux allait étendre sa main et terrasser les ennemis de son nom. Ceux-ci pouvaient tuer les chrétiens, renverser leurs églises et brûler leurs livres saints, mais ils ne pouvaient pas atteindre la source vivante du christianisme. La période des souffrances des chrétiens avait été exactement mesurée, et toute la puissance des empereurs ne pouvait la prolonger d’une heure. La main de Dieu s’appesantit d’une manière terrible sur les ennemis de l’Église. Dans la huitième année de la persécution, Galère, qui en avait été l’instigateur, fut frappé d’une maladie affreuse. Comme Hérode autrefois (Actes 12:23), vivant il fut rongé des vers. On appela les médecins les plus habiles, on consulta les oracles ; tout fut vain. Les remèdes ne faisaient qu’accroître l’intensité du mal ; le palais était rempli d’une odeur pestilentielle exhalée par ce corps en putréfaction, et les amis même de l’empereur ne pouvant la supporter, l’abandonnèrent. Frappé dans son corps, livré aux plus affreuses souffrances, il cria grâce. Il fit supplier les chrétiens de prier pour lui, et rendit un édit où il leur accordait l’exercice libre et public de leur religion. Quelques jours après, il expira. Durant six mois l’édit fut exécuté. Quantité de chrétiens sortirent des prisons et des mines, mais la plupart pour porter pendant le reste de leur vie les traces des souffrances qu’ils avaient endurées. Maximin qui succéda à Galère continua à persécuter les chrétiens avec une cruauté encore plus grande. Il ordonna que tous les officiers civils et militaires, tous les hommes libres ou esclaves, et même les petits enfants, sacrifiassent et mangeassent des choses sacrifiées aux idoles. Tous les aliments qui se vendaient au marché étaient aspergés du vin ou de l’eau consacrés pour le service des dieux, afin que bon gré, mal gré, les chrétiens participassent en quelque manière au culte idolâtre. Le sang des martyrs recommença à couler dans tout l’empire, sauf dans les Gaules où était Constance. Mais la main de Dieu se fit de nouveau sentir. La guerre, la peste et la famine sévirent dans toutes les provinces d’Asie. Dans toute la partie de l’empire que régissait Maximin, une sécheresse qui dura toute une année, amena une famine terrible. La peste suivit ; les chrétiens seuls, animés de charité, bravèrent la maladie, et se mirent à soigner les malades que l’on abandonnait, et à ensevelir les morts que l’on laissait sans sépulture. Les païens saisis de crainte, attribuaient leurs maux à la colère du ciel, irrité à cause des persécutions exercées contre les chrétiens. Maximin, effrayé lui-même, arrêta la persécution. Ainsi se termina la période représentée par l’église de Smyrne, l’ère sanglante où nombre de fidèles furent « égorgés pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils avaient rendu » (Apocalypse 2:8 11 ; 6:9). En même temps que le Seigneur montrait en eux sa puissance en les fortifiant dans tant de souffrances, les persécutions étaient des avertissements donnés à l’Église pour ranimer son premier amour et la faire sortir du piège du monde. Écouta-t-elle cette voix de son Chef ? Son histoire, hélas ! nous apprend que non. Mais en dépit de tous les efforts de l’ennemi, ce que Christ a fondé ne peut périr (Matthieu 16:18).

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